Constantin le Grand
les césars Maximin Daia et Sévère.
Je voulais qu’il comprît que nous devions par conséquent nous allier.
Je lui parlai de notre Église, des communautés chrétiennes présentes, malgré la persécution, dans toutes les provinces de l’Empire. Je connaissais les évêques et eux-mêmes connaissaient chacun de leurs fidèles.
— Les soldats estiment ton courage, ai-je poursuivi. Ils respectent en toi le tribun valeureux et victorieux. Ils méprisent Galère. Ils critiquent les choix qu’il a faits en nommant césars son neveu et un débauché, en t’écartant, toi, le brave, fils de Constance Chlore, qui a vaincu en Bretagne, sur le Rhin, les peuples barbares. Songe, Constantin, à la force que t’apporteraient ceux qui croient en Christos. Nous sommes partout, Constantin. Nous sommes trop nombreux, déjà, notre foi est trop enracinée dans nos âmes et dans les terres de l’Empire pour que la persécution nous fasse disparaître. Tu as vu mes frères et mes sœurs affronter en silence les supplices, avancer d’un pas tranquille vers la mort. Notre foi est éternelle comme notre Église, comme la vie que promet Christos à ceux qui le choisissent.
Il m’a écouté en me fixant de ses yeux ronds, si gros qu’ils paraissaient sur le point de jaillir hors du visage.
— Il faut partir dès cette nuit, m’a-t-il dit.
11
Cette nuit-là, lorsque j’ai observé le ciel, j’ai su que Dieu veillait sur Constantin.
Les étoiles dessinaient dans les ténèbres hiversnales une large voie scintillante qui éclairait le chemin pavé sur lequel nous galopions.
J’apercevais loin devant moi la silhouette de Constantin courbée sur l’encolure de son cheval. Il se retournait souvent, m’invitant d’un geste à accélérer ma course. Mais j’étais un homme d’étude, et non un cavalier, et je lui criais de ne pas se soucier de moi.
J’étais peut-être parvenu au bout de ma route, ayant accompli ce que Dieu attendait de moi.
J’avais préparé notre fuite de Nicomédie.
J’avais envoyé un messager aux communautés chrétiennes des provinces de Thrace, de Mésie, d’Illyrie et de Pannonie, leur demandant de se rassembler à proximité des relais impériaux.
J’avais osé leur dire qu’un élu de Dieu, un homme qui allait tenir entre ses mains les destinées de notre religion, se présenterait à eux et aurait besoin de leur aide.
J’avais pris le risque d’interpréter ainsi le choix de Dieu qui, alors que tant de mes frères et sœurs entraient dans la vie éternelle par la grande porte de la souffrance et du martyre, m’avait laissé sur le seuil, dans notre monde, alors qu’y régnaient les souverains persécuteurs.
Et maintenant je galopais, la peau entaillée par le vent froid de la chevauchée.
Je rejoignais Constantin à l’arrêt, maîtrisant son cheval qui piaffait. Il me répétait que le futur se jouait au cours de cette première nuit. Il fallait atteindre les rives des détroits avant que Galère et Maximin Daia aient découvert notre fuite. Car ils allaient lancer des assassins à nos trousses.
Galère avait fait mine, la veille, d’autoriser le départ de Constantin afin de lui tendre une embuscade sur un point de cette longue route conduisant de Nicomédie à Trêves. Mais Constantin avait décidé de le prendre de vitesse.
Nous avions quitté le palais de Nicomédie à la tombée de la nuit, au moment où Galère et Maximin commençaient à boire et à se vautrer sur le corps des femmes. Ils allaient jouir et vomir jusqu’à l’aube. Quand ils sortiraient en titubant de leur ivresse, nous aurions franchi les détroits, changé nos chevaux au relais impérial du port de Byzance, montré la lettre par laquelle Galère autorisait le tribun militaire Constantin à rejoindre son père Constance Chlore, l’auguste, et demandait qu’on lui fournît assistance et nourriture.
J’avais vu s’avancer vers nous, sortant de la pénombre, le visage enveloppé par les pans de leurs tuniques, les chrétiens de la communauté de Byzance, venus, ainsi que je le leur avais demandé, nous offrir leur aide, nous proposer un guide pour gagner, par la forêt, la voie conduisant en Illyrie.
Suivant mes indications, ils avaient averti les autres communautés ou ce qu’il en restait, car les soldats de Maximin Daia avaient décimé, supplicié, brûlé tant de frères et sœurs chrétiens qu’il ne survivait parfois, sur plusieurs dizaines de membres, que
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