Constantin le Grand
la Bretagne où les Pictes, peuples barbares de Calédonie, avaient franchi les murs dressés pour les contenir par les empereurs Antonin et Hadrien. Ils s’enfonçaient dans les terres romaines du Sud, saccageaient les récoltes, volaient les troupeaux, pillaient les demeures.
Constance Chlore entendait les vaincre et les refouler.
Nous avons atteint Boulogne au moment où celui-ci embarquait.
J’ai vu cet homme à la peau si pâle qu’elle semblait poudrée. J’ai su que la mort l’avait déjà enveloppé de son blanc linceul.
Constance a serré son fils contre lui et c’était comme s’il avait pris appui sur le tronc vigoureux d’un arbre que rien ne semblait pouvoir déraciner.
— Prie ton Christos pour mon père, a murmuré Constantin alors qu’après avoir traversé la mer nous poursuivions les Pictes.
Constance Chlore voulait les refouler au Nord, au-delà du mur d’Hadrien, et faire ainsi la conquête de la Calédonie, contraindre ce peuple barbare à se soumettre à la loi de Rome, poursuivre la tâche entreprise par Jules César.
— Ton Dieu n’a pas encore choisi de se montrer aux hommes, a souligné Constance Chlore, alors que l’Empire, Rome et ses dieux gouvernent déjà le monde. Rome est ainsi plus ancienne que ton Dieu. Pourquoi ne prions-nous pas notre empereur Auguste ? Il fut le dieu vivant de tout le genre humain, avant Christos !
C’était à Eburacum, déjà au nord de la Bretagne, là où les légions avaient tracé et dressé leurs camps.
L’été sombre ployait les hautes herbes sous la pluie et le vent.
Je priais, mais je savais que la mort était là, agrippée aux épaules de Constance Chlore, et que je ne pouvais qu’implorer la miséricorde de Dieu pour cet homme qui avait préservé de la persécution les provinces qu’il gouvernait comme césar de Maximien, puis comme empereur.
Je priais aussi avec les chrétiens qui m’avaient rejoint à Eburacum, pour que les tribuns, les centurions, les soldats choisissent, pour succéder à Constance, son fils Constantin.
Il attendait ce moment depuis que nous avions débarqué en Bretagne.
Il s’était toujours élancé le premier contre les Pictes, creusant dans leurs rangs un sillon sanglant, et, après chaque bataille, les soldats avaient acclamé le tribun militaire, digne fils de Constance Chlore.
Il les avait toujours associés à ses triomphes, allant de l’un à l’autre, et ils s’étaient pressés autour de lui qui les dominait de sa haute taille, sa large tête enfoncée dans les épaules, ses joues tachetées de plaques roses, ses longues mèches plaquées tentant de masquer une calvitie précoce.
Le 25 juillet 306, l’empereur Constance est mort alors que son fils lui tenait les mains.
J’ai prié pour Constance dont le corps était présenté à l’armée rassemblée autour du bûcher sur lequel il gisait. Constantin y a mis le feu.
Sous le ciel humide, les flammes ont été lentes à s’élever, à dévorer le bois et le corps.
Puis on a recueilli les cendres et Constantin a dispersé cette poussière grise que le vent emportait.
À cet instant, les centurions ont levé leurs enseignes, les légionnaires leurs javelots et leurs glaives.
Une voix a crié, déformée et prolongée par le vent :
— Constance, notre empereur, est mort ! Que vive l’empereur Constantin, fils de Constance ! Vivat !
J’ai vu Constantin hésiter, commencer à lever la main comme s’il voulait interrompre les cris, puis il a écarté les bras pour recueillir les acclamations, les accepter.
Alors j’ai fermé les yeux et remercié Dieu.
TROISIÈME PARTIE
12
J’ai vécu plusieurs jours durant dans mon rêve.
Je chevauchais auprès de Constantin. J’étais à ses côtés sur les tribunes. Je voyais la plèbe bretonne courir vers lui. Elle saluait le nouvel empereur, le vainqueur des Pictes. Il avait refoulé les peuples barbares au-delà des murs d’Hadrien et d’Antonin. Il avait conclu la paix avec eux. Les Pictes ne déferleraient plus, saccageant les moissons, pillant villes et villages, massacrant ceux qui n’avaient pas réussi à fuir.
Les Bretons clamaient que Constantin était le protégé des dieux, le fils de Jupiter et de Sol invictus .
Et moi, près de lui, j’imaginais qu’il allait reconnaître la toute-puissance de Christos.
Je recevais les envoyés des communautés chrétiennes de toute la Bretagne. Elles avaient prié
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