Constantin le Grand
trois ou quatre fidèles qui profitaient de l’obscurité pour aller fouiller les décombres de l’église afin d’y retrouver les objets sacrés et y prier.
Mais ces fidèles seraient là à nous attendre.
La première nuit, nous avons franchi les détroits, changé de chevaux au relais de Byzance, puis nous nous sommes enfoncés, guidés par un chrétien, dans la forêt.
Je ne doutais pas que nous allions réussir à gagner Trêves. Il me suffisait de regarder cette voie lumineuse qui traversait le ciel.
Et pourtant j’ai souffert, dès cette nuit-là, alors qu’il me semblait que je favorisais le dessein de Dieu. Mais j’ai su que l’empire du genre humain, même soumis au gouvernement de Constantin, serait encore un royaume sanglant, que le mal y survivrait, que seule la vie éternelle offrait la paix et le triomphe du bien.
Je l’avais compris lorsque, au relais impérial, après que l’on nous eut fourni des chevaux frais, j’ai vu Constantin sortir son glaive et, d’un geste assuré, celui du soldat qu’il était, celui de l’homme qui avait combattu les gladiateurs, les ours, les lions dans les arènes, trancher les jarrets de nos chevaux afin que nos poursuivants ne pussent s’en servir de montures.
Jambes tout à coup ployées, mon cheval avait redressé la tête, semblant interroger le ciel, et son hennissement avait été un cri de douleur, puis il s’était affaissé avant de se coucher sur le flanc.
Constantin s’était déjà éloigné, précédé par le guide chrétien, en direction de la forêt, et je l’avais suivi, abandonnant les bêtes blessées, promises à la mort.
Tout au long de notre route, cette scène s’est reproduite. Cependant, Constantin savait que nous ne pouvions plus être rejoints, et, même si nos poursuivants y étaient parvenus, jamais les soldats des troupes d’Illyrie n’auraient permis qu’on nous arrêtât. Constantin avant été l’un de leurs tribuns. Dès qu’on le reconnaissait, on l’acclamait, on lui jurait fidélité, et par mille voix, mille bras levés brandissant des glaives et des javelots, on lui montrait qu’on était prêt à le proclamer césar, empereur, et qu’on rejetait Galère, Maximin Daia et Sévère.
Mais Constantin se dérobait à ce triomphe, puis tranchait les jarrets de nos montures, laissant derrière nous ces bêtes mutilées comme pour me rappeler que le chemin des hommes, même s’ils suivent celui que Dieu leur suggère, est toujours bordé de cadavres humains ou animaux, et que la mort, sur cette terre, fait toujours escorte à la vie.
J’ai observé Constantin alors que nous approchions de Trêves, où nous espérions retrouver son père l’empereur Constance Chlore.
Les noires forêts de Germanie que nous traversions étaient peuplées de Barbares dont nous devinions la présence aux fumées qui s’élevaient au-dessus de la cime des arbres. Parfois, nous apercevions quelques chasseurs qui s’enfuyaient en voyant Constantin, le glaive brandi, faisant bondir son cheval.
Il était l’homme qui accepte la mort mais a choisi aussi de la donner.
Peut-être un empereur qui veut et doit gouverner le corps et l’esprit des hommes ne peut-il échapper à cette loi ?
J’ai remercié Christos de ne m’avoir chargé que d’enseigner les âmes et de les conduire vers Dieu.
Souvent guidés par des chrétiens, nous avions parcouru la Thrace, la Mésie, la Dalmatie, l’Illyrie, la Pannonie, la Norique et la Rétie, puis, après les forêts germaniques, nous avions longé le Rhin.
Cela faisait près de trois mois que nous avions quitté le palais de Nicomédie.
Chaque soir, alors que nous nous enveloppions dans nos manteaux de fourrure, j’avais prié à haute voix pour que Constantin m’entendît honorer Christos, Notre-Père.
Il m’écoutait sans jamais me questionner ni m’accompagner. J’ai compris qu’il était homme à ne vouloir rejeter aucun des dieux, pas plus Jupiter ou Sol invictus que notre Christos unique et tout-puissant.
Il voulait rassembler autour de lui, à son profit, toutes les forces humaines et divines.
Je n’étais pas impatient : si Dieu l’avait choisi, le jour viendrait où il rejetterait les vieilles défroques des dieux païens pour recevoir le baptême qui le ferait disciple de Christos.
Trêves était vide d’hommes. L’armée, l’empereur Constance Chlore à sa tête, avait gagné le bord de mer, le port de Boulogne, afin de s’embarquer pour
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