Constantin le Grand
fleuve, profitant du brouillard, des bourrasques de neige et de la nuit. Ils contournaient les postes de guet, évitaient les patrouilles et s’enfonçaient loin, attaquant les villages, pillant, massacrant jusqu’aux abords de la Seine.
Constantin s’élançait toujours le premier quand, enfin, les cohortes avaient réussi à encercler l’une de ces bandes.
Je ne participais pas au carnage mais détournais la tête pour ne pas voir ces hommes qu’on égorgeait ou bien qu’on enchaînait, les destinant aux combats dans l’amphithéâtre où, à chaque retour de Constantin, la plèbe gauloise célébrait ses nouvelles victoires.
J’étais accablé.
J’observais Constantin qui assistait à ces jeux sanglants sans que son visage exprimât autre chose que l’ennui.
Il n’était pas cruel.
Je l’avais vu accueillir en Arles, avec compassion, le vieil empereur Maximien, en guerre avec son fils Maxence. Constantin avait refusé d’écouter Fausta, son épouse, fille de Maximien, qui l’incitait à se défier de son propre père. Elle accusait celui-ci de n’être mû que par le goût du pouvoir et prêt, pour le reconquérir, à toutes les trahisons, voire au meurtre. Elle avait conseillé à Constantin de chasser Maximien de Gaule, de le renvoyer en Italie où son fils Maxence – ou bien Licinius, cet empereur d’Occident nommé par Galère – le traiterait comme il le méritait. Mais Constantin avait répondu qu’il continuerait d’offrir son hospitalité et sa protection à Maximien.
Sa mère, Hélène, elle aussi soupçonneuse et inquiète, n’avait pu le faire fléchir.
L’âme de Constantin était une bonne terre pleine de clémence, mais prête cependant à se durcir, à prendre des décisions implacables et même cruelles dès lors que sa marche vers le pouvoir impérial était entravée.
Et, je m’en persuadais à chaque instant, il ne reconnaîtrait la toute-puissance du Dieu unique que si elle lui apparaissait utile à sa cause, si les chrétiens lui avaient démontré qu’ils étaient ses plus fidèles et efficaces partisans.
Christos nous mettait au défi de le lui prouver.
J’ai cru que j’allais y parvenir quand j’ai reçu et entendu Cyrille.
C’était un messager de la communauté chrétienne d’Arles. Il parlait difficilement, les mots se heurtant dans sa bouche, car le souffle lui manquait. Il avait remonté les fleuves aussi vite qu’il avait pu, fuyant devant les soldats envoyés à ses trousses par Maximien.
J’écoutai avec émotion ce petit homme malingre au teint basané. C’était un Grec d’Égypte qui s’était installé en Arles, échappant ainsi aux persécutions de Dioclétien et à celles de Maximin Daia.
Il priait chaque jour pour Constantin qui, comme son père, Constance Chlore, n’avait jamais pourchassé les chrétiens, et le fait qu’il fut païen ne le troublait pas.
— Constantin ne le sait pas lui-même, disait-il, mais il est chrétien, et un jour il sera frappé par l’éclair de lumière. Il marche vers le baptême.
Les chrétiens de Gaule, de Bretagne et d’Espagne partageaient tous ce sentiment.
Cyrille et ses frères et sœurs d’Arles avaient été accablés quand Maximien avait annoncé que les Barbares germaniques, au cours d’une bataille, avaient tué Constantin.
Maximien avait soudoyé les soldats et s’était fait acclamer comme empereur d’Occident. Ne l’avait-il pas été déjà par deux fois, désigné par Dioclétien ? Les chrétiens s’étaient rassemblés, avaient prié, désemparés, puis s’étaient étonnés de ne pas avoir reçu de messagers des communautés chrétiennes de Trêves, d’Autun, de Vienne, de Lugdunum qui eussent dû être averties les premières du trépas de Constantin.
En Arles, Cyrille avait été désigné pour se rendre à Trêves.
Maximien l’avait appris et son attitude avait alors révélé sa supercherie. Il avait interdit le voyage, fait encercler Arles par des cohortes fidèles, et menacé de mort tous ceux qui tenteraient de sortir de la ville.
Cyrille y était parvenu, et, aidé par les communautés chrétiennes des bords du Rhône, de la Saône et du Rhin, était arrivé jusqu’à Trêves, apportant ainsi la nouvelle du mensonge et du coup de force de Maximien qui, avec les trésors de la ville dont il s’était emparé, avait commencé à constituer une armée pour étendre son pouvoir à toutes les Gaules.
J’ai conduit Cyrille jusqu’à
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