Constantin le Grand
j’offrais à Constantin un glaive dont la poignée avait la forme d’une croix.
Et à lui qui le saisissait je disais : « Par ce signe, tu vaincras ! »
Il me souriait, me suivait.
Le lendemain matin, dans l’aube gris-noir d’un jour d’hiver, je me suis rendu auprès des diacres et de l’évêque de la communauté chrétienne.
J’ai dit à chacun d’eux :
— Soyons plus forts, plus nombreux, et que notre Église chrétienne devienne le glaive de Constantin. Alors, alors seulement il reconnaîtra la toute-puissance de Christos, le Dieu unique.
15
J’ai appris la patience, le silence.
Je suis resté dans l’ombre comme ces rivières souterraines dont on oublie jusqu’à l’existence.
Je laissais Hésios marcher seul auprès de Constantin.
Le grand prêtre célébrait les dieux païens de Rome, Jupiter et Sol invictus , Apollon et Mithra. Il présidait au sacrifice, et le sang du taureau qu’on venait d’égorger ruisselait sur le visage, les épaules et la poitrine de Constantin.
La plèbe acclamait le fils de l’empereur, l’époux de Fausta, elle-même fille d’empereur, le « Vainqueur perpétuel », Constantin le Grand.
Je n’étais qu’une eau enfouie mais que mille ruisseaux rejoignent.
Les communautés chrétiennes des provinces de l’Empire accueillaient de nouveaux fidèles, des citoyens romains que désespéraient le désordre rongeant l’Empire et la guerre civile qui menaçait de nouveau.
Les messagers des provinces d’Asie m’apprenaient que, dans son palais de Nicomédie, l’empereur Galère avait désigné l’un de ses conseillers, le général Licinius, comme empereur d’Occident.
Il avait donc refusé de reconnaître le retour de Maximien et de répondre aux attentes de Constantin qui, déjà césar, aspirait lui aussi à cette dignité.
Malgré l’appui des dieux de Rome proclamé et promis par Hésios, c’était donc un autre, ce Licinius, que Galère avait élevé au rang de second empereur.
Ce désordre, ce chaos, ces incertitudes, cette guerre civile étaient le fruit des errements d’hommes qui refusaient le Dieu unique et tout-puissant. Seul celui de ces hommes qui reconnaîtrait le signe de croix régnerait sur l’Empire, rétablirait son unité, serait l’empereur unique et tout-puissant, reflet terrestre de Dieu.
Je le disais et le redisais aux messagers chrétiens afin qu’ils rapportent cette prédiction dans les provinces troublées de l’Empire.
En retour, ils me révélaient qu’en Italie, en Illyrie, en Bithynie, partout les chrétiens qui avaient renié leur foi pour échapper à la persécution, tous ces déserteurs, ces lapsi , ces apostats, réclamaient leur pardon, voulaient être à nouveau admis parmi leurs frères et sœurs, dans les communautés qu’ils avaient abandonnées.
Certains exigeaient qu’on les accueillît sans qu’ils eussent à faire pénitence pour leur trahison. Parfois, leur hâte était si grande et leur désir si violent qu’ils manifestaient devant les églises qui, peu à peu, se reconstruisaient.
Leur impatience était à la mesure du désarroi qui saisissait tous les citoyens au spectacle que leur donnaient ceux qui prétendaient les gouverner.
À Rome, sur le champ de Mars, le père et le fils, Maximien et Maxence, s’étaient insultés. Maximien avait tenté d’arracher le manteau de pourpre dont Maxence s’était revêtu. L’un et l’autre prétendaient être les empereurs d’Occident et ils s’étaient battus devant la plèbe. Roulant à terre, ils s’étaient griffés. Et Maxence avait ordonné à ses prétoriens de s’emparer de son père qui, protégé par ses propres gardes, avait réussi à fuir, à quitter Rome, à embarquer à Ostie pour se réfugier en Arles, auprès de Constantin, désormais son beau-fils.
J’avais vu débarquer sur les quais de l’emporium cet homme hagard, gesticulant, maudissant son fils et l’empereur Galère qui avait osé désigner contre lui – « contre toi aussi, Constantin ! » avait-il hurlé – ce Licinius.
Le fleuve souterrain enflait, grondait.
Le désordre se propageait comme une peste. À chaque jour son bubon, son abcès purulent.
Les chrétiens de la province d’Afrique m’annonçaient que le préfet de Carthage, Lucius Alexander, avait rejeté la tutelle de Rome, gouvernée par des usurpateurs, et s’était fait désigner par ses soldats empereur d’Afrique. C’était lui, désormais,
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