Constantin le Grand
pays de froid et de gel. Là avait été dressée, après la conquête romaine, une statue d’Apollon, et c’est à elle qu’Hésios voulait que Constantin sacrifiât.
Je ne suis pas entré dans le temple. J’ai entendu les chants des prêtres. J’ai su plus tard que Constantin avait voulu faire une libation à Apollon pour le remercier de sa victoire sur Maximien.
Puis il a décidé de consulter l’oracle du temple et, pour cela, de passer une nuit dans le sanctuaire, de se purifier dans les bassins sacrés.
Lorsque j’ai entendu ce récit fait avec emphase par Hésios, j’ai souffert dans ma foi comme si Constantin avait trahi tous ces chrétiens qui s’étaient placés à son service, et qu’il repoussait loin de lui en affirmant sa fidélité aux dieux païens.
Il avait reçu le baptême païen, il s’était soumis aux rites du culte d’Apollon.
Les prêtres et prêtresses avaient enveloppé son corps nu de grands linges et l’avaient laissé s’endormir au pied de la statue.
Par Hésios, j’ai connu ses rêves.
Constantin avait vu à trois reprises Apollon, rayonnant dans une lumière éblouissante, s’approcher de lui afin de le couronner.
Et les prêtres d’Apollon et Hésios, après avoir écouté la description de ce songe, lui avaient annoncé qu’Apollon avait voulu par là lui révéler qu’il régnerait sur l’Empire trois fois dix ans.
Puisqu’il avait été proclamé pour la première fois empereur par ses troupes de Bretagne en 306, il gouvernerait l’Empire jusqu’en 336 ou 337. Et Hésios avait martelé qu’Apollon, au nom de Jupiter et de Sol invictus , avait signifié que Constantin avait été choisi pour édifier un nouvel empire.
En écoutant Hésios, j’ai tremblé, le corps couvert d’une sueur glacée. C’était comme si la victoire avait été volée aux chrétiens et à Christos par les divinités païennes.
J’ai prié. J’ai chevauché loin de Constantin, les yeux fermés, me laissant guider par ma monture.
Puis, tout à coup, une main m’a frôlé. Constantin était près de moi. Il me regardait sans prononcer un mot, mais sa main pesait sur mon épaule.
Et, à cet instant, j’ai été rasséréné.
Qui connaissait tous les visages de Dieu ?
Qui pouvait imaginer le chemin qu’il prendrait pour s’adresser à l’âme d’un homme ?
18
Je n’ai cessé de m’interroger, les jours suivants, sur la manière dont le Dieu unique et ressuscité, notre Christos, pouvait se présenter aux hommes, non pour se dissimuler ou les tromper, mais pour parler une langue que ces païens comprendraient, leur montrer un visage comme ceux de ces idoles pour lesquelles ils sacrifiaient, qu’ils honoraient de leurs libations et de leurs offrandes, et qu’ils craignaient.
J’ai regardé d’un œil différent ces hautes statues de marbre blanc qui représentaient Jupiter, Apollon ou Sol invictus . Notre Christos pouvait-il, le temps d’un rêve, prendre la forme de ces divinités pour que les hommes s’habituent à l’idée d’un Dieu souverain, créateur et ordonnateur du monde ?
Ces statues étaient dressées dans la nouvelle basilique de Trêves que Constantin avait fait construire, vaste comme une immense nef retournée. Le marbre veiné de noir et de rouge y voisinait avec le granit gris et le grès rose.
La lumière chaude, dorée de ce 1er août 310 illuminait la statue d’Apollon, et Constantin couronné se tenait à quelques pas, irradié par la lueur solaire.
Hésios officiait, rappelant une nouvelle fois l’apparition d’Apollon, les trois couronnes qu’il avait offertes à Constantin, comment ce rêve annonçait le long règne de trois fois dix ans de celui qui serait empereur, qui bientôt entrerait dans Rome en triomphateur.
La foule des Bretons, des Hispaniques, des Gaulois emplissait la basilique. Chacun des représentants de ces peuples s’agenouillait devant Constantin et baisait un pan du manteau pourpre de celui qu’il voulait comme empereur à Rome.
Et Hésios répétait que le temps était venu.
Hors de la basilique, le long du fleuve, les bateaux étaient alignés bord contre bord. Les marins ont acclamé Constantin. Les trompettes ont accompagné le défilé des cohortes, enseignes dressées.
Les soldats s’étaient rassemblés sur le nouveau forum, face aux falaises de grès qui plongeaient dans les eaux grises de la Moselle. Constantin, sortant de la basilique, s’est avancé, son
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