Constantin le Grand
sentais que Constantin appréciait le vin sirupeux des éloges. Il se tenait bras croisés, haute statue en tunique de soie blanche bordée d’or serrée sur son corps vigoureux, son manteau de pourpre tombant jusqu’au sol.
Il acceptait que le 25 décembre, jour où on célébrait la victoire du Soleil, la renaissance de Sol invictus , fut aussi celui de son triomphe impérial.
J’ai souffert.
On dressait la gigantesque statue de Constantin sur le Forum, mais elle ne brandissait ni la croix ni le labarum . Et c’était la dédicace païenne du Sénat qui avait été gravée sur son socle.
L’arc de triomphe sortait de terre et je savais déjà qu’aucune mention n’y serait faite de Christos.
Constantin s’était-il servi de l’aide des chrétiens pour tromper Dieu ? Et pourquoi Christos avait-il accepté de le favoriser si ce n’avait été que pour voir un empereur païen succéder à un empereur païen ? Suffisait-il que Constantin et son père n’eussent pas persécuté les chrétiens pour être choisis par Christos ?
J’ai songé à quitter Rome alors qu’y résonnaient les cris de la plèbe acclamant Constantin qui offrait dans le Colisée des combats de gladiateurs.
Rome restait païenne, et Constantin s’y enlisait.
Il gouvernait en païen.
Les proches de Maxence étaient traqués, exécutés. Le camp de la garde prétorienne fut détruit, ses cohortes dissoutes, et certains parmi les prétoriens poussés dans l’arène afin d’y combattre les uns contre les autres et d’y périr.
Constantin assurait son pouvoir et sa popularité sans se soucier du jugement de Dieu.
Il condamnait à mort avec le flegme et la quotidienne cruauté de tous les empereurs.
J’appris qu’on avait découvert, étranglé dans son berceau, le dernier fils de Maxence, Remus. Et que la mère de ce dernier – Galeria, la fille de Galère – avait été chassée de Rome.
Je l’ai croisée alors que, hagarde, échevelée, deux soldats la tiraient hors du palais impérial.
Cet homme-là, Constantin, serait-il jamais un chrétien ?
Le pouvoir conquis, il n’était plus qu’un souverain habile, soucieux de flatter Rome la païenne.
Je me suis approché de lui à la fin de la séance solennelle de la curie consacrée à célébrer ensemble, le 25 décembre, le triomphe de Constantin et la renaissance de Sol invictus .
J’ai entendu Hésios, ouvrant les bras, s’adresser aux sénateurs, comme s’il s’expliquait au nom de Constantin, en leur annonçant que le règne d’Apollon commençait avec Constantin le Grand, le pieux, le prince de la jeunesse.
Dans le brouhaha et les acclamations, j’ai murmuré à Constantin que s’il perdait la bienveillance et la protection de Christos, ainsi que l’aide des chrétiens, il subirait le sort de Sévère, de Galère, de Maximien, d’Alexander et de Maxence.
— Tu seras seul face à Licinius, ai-je poursuivi, qui peut s’allier à Maximin Daia, et contre eux, un jour, tu auras à nouveau besoin du signe qui t’a fait vaincre au pont Milvius.
J’ai pointé l’index sur son ventre.
— N’attends pas d’être rongé par les abcès, comme l’a été Galère dont les entrailles étaient remplies de vers, pour montrer à Christos que tu n’as pas oublié les chrétiens. Choisis de les soutenir, et ils demeureront tes alliés. Sois de cette manière ce que tu es, Constantin : un habile et prévoyant empereur. Si tu l’es, Dieu te fera à nouveau signe.
Durant plusieurs jours, j’ai cru que Constantin ne m’avait point entendu.
Il présidait des jeux sanglants, assis dans la tribune impériale, et le sang rougissait le sable de l’arène du Colisée.
Hésios célébrait les dieux païens tandis que la plèbe et les sénateurs immolaient sur les autels les animaux du sacrifice.
Des chrétiens m’assuraient que Constantin avait été ondoyé par le sang d’un taureau égorgé pour honorer Mithra.
J’ai prié.
J’ai demandé aux chrétiens de Rome, rassemblés autour de notre pape Miltiade, de ne pas désespérer.
Ils n’étaient plus persécutés, leur foi allait donc rayonner, d’autant plus vive. Déjà des païens de plus en plus nombreux rejoignaient les communautés chrétiennes, souhaitant être baptisés.
— Soyons la force, l’ordre, la foi inébranlable, ai-je dit, et l’empereur viendra à nous parce que nous serons l’une de ses armées, la plus fidèle, la plus disciplinée, celle par qui il
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