Contes populaires de toutes les Bretagne
du côté où vient la voix, mais
quand ils arrivent à l’endroit, ils n’entendent plus rien et ils ne voient
personne. Et à ce moment, de l’autre côté des marais, tout à l’autre bout, une
voix recommence à crier :
— À l’aide !
Et toujours comme cela jusqu’à ce que les hommes soient
fatigués de courir d’un côté à l’autre et finissent par s’en aller chez eux,
voyant bien que ce sont des revenants, ou le lutin qui hante les marais pour
les égarer ou leur faire peur.
Un certain soir, le nommé Pierre Leroux rentrait à sa
maison. En passant par un chemin qui longeait le marais, il entendit bêler, et
il vit un beau mouton bien gras qui semblait perdu.
— Voilà une belle ouaille ! se dit Pierre Leroux.
Je n’en ai jamais vu de semblable chez nous. Celui à qui appartient la bête ne
serait pas content de la voir passer la nuit dehors. Je vais l’emmener dans mon
étable, et demain matin, je saurai sûrement quel est son propriétaire.
Il appela la bête qui le suivit très bien, et il l’emmena.
Quand il fut arrivé à l’étable, il la fit entrer en disant :
— Eh bien ! si personne ne vient te réclamer, mon
beau mouton, je te garderai bien volontiers !
Il poussa le mouton dans l’étable et en referma
soigneusement la porte.
Quelques minutes après, en passant par le même chemin, il
aperçut le gros mouton qui bêlait en plein milieu. Il crut avoir mal fermé la
porte, repoussa la bête dans l’étable et rentra dans sa maison pour souper.
Mais après avoir mangé, il eut la curiosité de sortir pour
voir ce qui se passait. Ce diable de mouton était dehors, en train de bêler au
milieu du chemin.
— Cette fois, dit Pierre Leroux, tu coucheras où tu
voudras.
Et il rentra chez lui en fermant la porte à double tour. Il
entendit alors le mouton s’enfuir en éclatant de rire. C’était sûrement le
lutin des marais, celui-là même que les vieux disaient être Misti Courtin, qui
avait la réputation de prendre la forme d’un animal égaré, et qui se moque de
ceux qui veulent le prendre.
Le lendemain, Pierre Leroux s’en alla à la pêche. Mais il
s’endormit dans son bateau au milieu des roseaux.
Il se réveilla tout à coup : il sentait que quelqu’un
lui tâtait les jambes et il entendait qu’on disait tout bas :
— Oh ! les bonnes petites jambes !
Et puis, ce furent les cuisses, et l’on disait :
— Oh ! les bonnes petites cuisses !
Et puis ça se mit à crier plus haut :
— Apportez la hache et le petit hachereau !
Pierre Leroux suait de peur. Cependant, il ne remuait pas.
Et toujours ça tâtonnait et ça criait :
— Oh ! les bonnes petites jambes ! oh !
les bonnes petites cuisses !
Et enfin, ça cria d’une voix de tonnerre :
— Apportez la hache et le petit hachereau !
Puis, comme rien ne répondait, quelque chose sauta hors du
bateau comme un poisson et se mit à nager à grandes brasses. Quand le bruit fut
éloigné, Pierre Leroux se glissa hors de son bateau et se dépêcha de se sauver
sans attendre que cela recommence, mais il fut malade plus de quinze jours de
la frayeur qu’il avait éprouvée.
Une autre fois, il était parti à la chasse depuis le matin.
Mais il ne voyait aucun gibier, et il en était fort ennuyé.
À la fin, il fit lever d’un buisson un superbe lièvre qui se
mit à courir très vite, et le chasseur courait après, et le lièvre filait,
filait, et jamais ne s’arrêtait.
Cela dura si longtemps que Pierre Leroux n’en pouvait plus
et voyait le moment où il allait trépasser de fatigue.
Pourtant, le lièvre fit comme s’il voulait s’arrêter. Il
ralentit sa folle allure et s’immobilisa au coin d’un champ. Le chasseur
s’approcha tout doucement et tira.
Comme le lièvre ne bougeait pas, il crut bien l’avoir tué,
et il s’approcha en disant :
— Ah ! bon sang ! il m’a donné bien du mal,
mais je l’ai eu !
Alors le lièvre se releva d’un saut, lui passa entre les
jambes et lui cria par dérision :
— Gnin, gnin, gnin !
Puis il se sauva à toutes jambes en se moquant de lui. Pas
de doute, ce n’était pas un lièvre, c’était Misti Courtin, le lutin des marais,
qui lui avait joué ce tour.
Et Pierre Leroux rentra chez lui, furieux, promettant qu’il
n’irait plus jamais à la chasse.
La Chapelle-des-Marais (Loire-Atlantique).
Ce
récit, recueilli en 1857, témoigne, en Haute-Bretagne, de la croyance aux
lutins, pas forcément
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