Contes populaires de toutes les Bretagne
de
poule : le cheval était affaissé, inerte, et, sur la carriole,
recroquevillé sur lui-même et noir comme du charbon, Menou le herquellier
gisait, foudroyé.
On conduisit le corps de Menou dans sa maison et on
l’étendit sur la bancelle, devant le lit. La nuit tombait ; on avait
allumé une chandelle de résine dont la lumière vacillante crépitait de façon
sinistre en remplissant la pièce d’une fumée âcre et suffocante. Sur la table,
une écuelle renversée et des débris de nourriture. La fenêtre avait des vitres
sales et recouvertes de toiles d’araignées. L’un des carreaux était cassé et
avait été remplacé par une motte de paille. Tout dénotait un laisser-aller
complet, une crasse repoussante. Des poules entraient et sortaient en caquetant
et en picorant sur la terre battue. Telle était la demeure de Menou, le
herquellier, l’homme qui faisait peur quand on le rencontrait au sortir d’un
chemin creux.
Pendant la nuit, le corps du foudroyé fut veillé par
quelques voisines. C’était un mauvais homme, ce Menou, mais c’était tout de
même un baptisé : on ne pouvait pas le laisser sans prières. Et les bonnes
femmes vinrent dire leur chapelet. Et entre les chapelets, pour se donner du
courage, elles firent un sort à la bouteille d’ alambic qu’elles avaient découverte dans le buffet du défunt. Mais ce n’était pas une
mauvaise action, puisque c’était pour mieux prier. Pauvre Menou, quand
même !
L’enterrement eut lieu le surlendemain, de bonne heure. On
mit le cercueil sur un vieux char tiré par un cheval maigre. Le porteur de
croix arriva : on avait pris la plus vieille croix de la paroisse ;
le métal en était rongé par le vert-de-gris, mais peu importait du moment qu’on
avait une croix. Et puis, c’était bien assez bon pour un herquellier sans
dévotion et qui ne payait jamais son denier du culte.
Précédés du porteur d’échelettes qui agitait en cadence les
deux cloches, l’une au son grêle, l’autre au son grave, la charrette s’ébranla
en grinçant abominablement. Une douzaine de voisins environ, tous des hommes,
s’étaient fait un devoir de charité d’accompagner le herquellier jusqu’à sa
dernière demeure.
Le chemin est long de Beauvais à Paimpont, où se trouve
l’église paroissiale : il faut traverser la partie la plus haute de la
forêt. Le soleil était déjà très chaud. Vers le sud, quelques nuages noirs
s’amoncelaient. Les hommes commencèrent à réciter une dizaine de chapelet pour
le repos de l’âme de Menou. En tête du cortège, l’homme aux échelettes agitait
ses cloches pour avertir les gens du passage du convoi funèbre.
On venait de dépasser l’étang de Chatenay, au bas duquel
tournait, indifférente, la roue du moulin. On commençait à gravir la pente de
Hucheloup, quand un terrible coup de tonnerre se fit entendre.
Il y eut un mouvement d’hésitation parmi ceux qui suivaient
la charrette. L’orage éclatait : or, c’était un foudroyé que l’on portait
en terre. Deux hommes quittèrent le cortège et rebroussèrent chemin avec
beaucoup de hâte. Un éclair aveuglant fut immédiatement suivi d’un craquement
très sec : la foudre venait de tomber sur un arbre, en bordure de la
route. Et ce fut la pluie brutale et drue. Les hommes baissèrent leur chapeau
sur leurs yeux et continuèrent à prier d’une voix plus forte.
À l’entrée de la forêt, devant la croix du calvaire, l’homme
aux échelettes s’arrêta, et tous firent de même. Il s’écria :
— Nous allons dire un pater et un ave .
Ils se mirent à genoux. Pendant le temps que dura le
recueillement, il n’y eut aucun coup de tonnerre, mais dès que le cortège se
remit en marche dans la forêt, le ciel recommença à crépiter de toutes parts.
Le cheval se cabrait, ruait et le conducteur avait du mal à le retenir. Chaque
fois que les hommes baissaient la tête, l’eau qui s’était amassée sur le rebord
de leur chapeau dégoulinait en abondance. Les sabots glissaient sur le sol
mouillé.
Le cortège arriva au carrefour de Haute-Forêt. Là encore, il
y avait un calvaire et l’homme aux échelettes fit arrêter tout le monde pour
réciter une dizaine de chapelet. Durant ce temps, le ciel s’éclaircit
légèrement, la pluie devint insignifiante et le tonnerre ne gronda pas. Mais
dès qu’on eut repris la route, tout recommença de plus belle. Les hommes,
trempés et aveuglés marchaient stoïquement derrière
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