Contes populaires de toutes les Bretagne
nuages et les hiboux qui s’enfuyaient à son approche. Au lieu de prendre
le raccourci à travers pré qui l’aurait mené droit à la Touche-Robert, il
s’était engagé sur la route qui montait vers Trébottu.
Lorsqu’il parvint au petit pont sur le Rauco, ce ruisseau
qui descend du Val sans Retour, il entendit des battements, vers la gauche, en
direction du Val, sans doute près du moulin en ruine. Intrigué, il cessa de
chanter, mais son ivresse n’était pas suffisamment dissipée pour qu’il pût
discerner ce qu’était en réalité le bruit qu’il entendait. Quittant la route,
il longea le ruisseau pendant un long moment, se heurtant aux souches d’arbres,
glissant sur les racines, pataugeant dans l’eau et la boue.
Alors il aperçut deux femmes à genoux sur le bord du
ruisseau : elles étaient vêtues de blanc et elles lavaient un grand drap
qu’elles frappaient de leurs battoirs. Guillo ne put en croire ses yeux :
était-ce une heure pour laver du linge, alors que tout dormait et que l’ombre
emplissait les lisières de la forêt ? Il haussa les épaules et voulut
repartir, mais son pied buta dans une pierre qui tomba à l’eau. Les deux
lavandières sursautèrent et tournèrent leurs visages vers Guillo. Ah !
quels visages ! la lumière de la lune, en les frappant, soulignait leurs
traits sans vie et leurs yeux creux qui semblaient vides. Guillo fut horrifié
et bondit pour fuir au plus vite, mais l’une des femmes cria :
— Approche ! viens nous aider !
En titubant, Guillo approcha. Quelque chose l’attirait dans
la direction de la voix. Il se tint, les bras ballants, ne sachant que faire.
Les lavandières lui tendirent le drap qu’elles venaient de laver et qui était
tout ruisselant d’eau.
— Eh bien ! dit l’une d’elles,
qu’attends-tu ? aide-nous à tordre ce drap !
Machinalement, Guillo saisit l’extrémité du drap. À
l’autre bout, les lavandières tordaient l’étoffe, mais Guillo ne bougeait pas.
Il parvint à dire avec quelque peine :
— Qui êtes-vous ? pourquoi lavez-vous ce drap si
tard dans la nuit ?
L’une des lavandières répondit :
— Nous lavons le linceul d’un homme qui doit mourir
cette nuit, et si nous ne faisons pas ce travail, il n’aura pas de linceul.
Sur le coup, la plaisanterie parut si drôle à Guillo qu’il
éclata de rire. Et pour montrer sa bonne humeur, il tordit le drap de gauche à
droite.
— Malheur ! s’écria l’une des femmes.
Malheur ! il a tordu le drap dans le sens maléfique !
— Malheur ! malheur ! répéta l’autre.
Les cris résonnèrent dans les arbres. Un oiseau réveillé
frôla la tête de Guillo en s’envolant, et l’air déplacé par le battement des
ailes sembla déchaîner un vent de tempête qui parcourut les cimes de la forêt.
Quand Guillo se fut un peu remis de sa frayeur, il ne vit plus les deux
lavandières : elles avaient disparu. Guillo s’imagina avoir rêvé, mais il
sentit un froid humide lui pénétrer le corps. Alors il vit qu’il portait dans
ses bras le grand drap mouillé.
Tout à fait dégrisé, Guillo n’eut plus qu’une pensée :
courir jusqu’à la plus proche maison et s’y réfugier. Il avait peur,
terriblement peur. Mais il n’eut pas le temps de mettre son projet à
exécution : il entendit un grincement dans les bois, le grincement d’une
charrette dont les roues n’avaient point été graissées depuis longtemps.
Incapable de faire le moindre pas, le moindre geste, Guillo
attendit. D’où venait cette charrette ? Il n’y avait pourtant pas de
chemin carrossable dans le bois, tout au plus quelque méchant sentier encombré
de buissons et de souches. Cependant la charrette approchait dans la nuit, et
aux bruits des roues grinçantes, s’ajoutaient le choc sourd des pas du cheval
et le craquement des branches brisées. À tout instant, Guillo, immobile, le
drap dans ses bras, croyait la voir surgir des fourrés.
Il y eut un hennissement. Sur le bord du Rauco, faiblement
découpée par la lueur de la lune, la charrette venait de s’arrêter, et le
cheval se penchait vers l’eau pour étancher sa soif. Un personnage vêtu d’un
habit noir s’approcha de Guillo, un fouet à la main :
— Holà ! l’homme ! cria-t-il. Je cherche un
nommé Guillo ! est-ce que tu l’aurais vu par hasard ?
Guillo ne répondit pas. Ses dents claquaient, à cause de la
terreur, plus qu’à cause du froid qui le saisissait. Le mystérieux
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