Crépuscule à Cordoue
les choses doivent se passer.
Mais ils ne voulaient pas en démordre :
— C’est le dernier des salauds, insistèrent-ils d’un air solennel.
Et s’il y a une chose dont je suis persuadé, c’est qu’au sein de la bureaucratie, ce sont les employés les moins importants qui portent le meilleur jugement sur les personnalités. Je jugeai donc utile de différer mon départ et revins m’asseoir. D’abord le proconsul avait cru bon de montrer clairement qu’il entretenait des doutes au sujet de Quadratus, et maintenant, ses auxiliaires le condamnaient sans appel.
— Dites-moi pourquoi ! demandai-je.
Et comme nous étions devenus amis, ils ne se firent pas prier.
La réputation de Quinctius Quadratus était entachée. Un rapport confidentiel l’avait précédé en Bétique et, confidentiel ou pas, le secrétariat du gouverneur en avait pris connaissance. Il s’agissait d’une sale histoire qui risquait de lui gâcher un avenir prometteur. Avant de siéger au Sénat, le jeune homme avait servi comme tribun militaire. Posté en Dalmatie, il avait été mêlé à un tragique « accident » au cours duquel plusieurs soldats avaient perdu la vie. Il les avait obligés à réinstaller un pont qu’un torrent furieux avait emporté, sans attendre que la crue s’apaise. Le risque était énorme et tout à fait prévisible. L’enquête ultérieure avait officiellement conclu à l’accident, mais son ancien officier avait tout de même jugé bon d’en communiquer les détails au proconsul qui venait d’hériter de Quadratus…
Je pris enfin congé et croisai dans le couloir des gens qui arrivaient pour essayer de voir le proconsul. Un scribe – qui devait être plus haut que les autres dans la hiérarchie parce qu’il était arrivé encore plus en retard qu’eux –, était en conciliabule avec deux personnes que je reconnus immédiatement : Licinius Rufius accompagné de son petit-fils Constans. Le jeune homme paraissait de mauvaise humeur. En outre, après qu’il m’eut repéré, il eut presque l’air effrayé.
J’entendis le scribe annoncer que le gouverneur ne recevrait personne aujourd’hui. Ce n’était pas une simple excuse : il leur fournit une raison valable. Le vieil homme en parut irrité, mais fut bien obligé de faire contre mauvaise fortune bon cœur.
Je les saluai sans m’arrêter, car une longue étape m’attendait, et les pensées se bousculaient dans ma tête.
La moindre de mes curiosités n’était pas cette « agente » qu’Anacrites avait soi-disant envoyée en Bétique. S’agissait-il de la femme dangereuse contre laquelle il avait essayé de me mettre en garde ? Où pouvait-elle bien se trouver ? Avait-il eu le temps de lui donner des instructions ? Après l’agression du chef espion, avait-elle renoncé à quitter Rome ? Était-elle venue ici de son propre chef ? Impossible, Anacrites n’avait jamais employé quelqu’un capable d’autant d’initiative.
Il me fallait absolument identifier cette femme. Qui sait si ce n’était pas la danseuse que je poursuivais. Mes conclusions la concernant pouvaient se révéler entièrement fausses. Anacrites lui-même l’avait peut-être appelée au Palatin pour une bonne raison. Rien ne prouvait formellement qu’elle avait quelque chose à voir avec les agressions. Elle avait pu perdre sa flèche dans la rue en discutant avec Anacrites et Valentinus, et leurs blessures pouvaient avoir une autre origine… Mais que venait-elle faire à Cordoue ? S’était-elle costumée en bergère lors du festival pour mieux observer les membres du cartel ? Déguisée en vieille femme afin de questionner Licinius Rufius ? Poursuivions-nous les mêmes buts ? Alors, qui avait attaqué si sauvagement le chef espion et Valentinus ?
Il y avait une autre possibilité : Selia était aussi dangereuse que je l’avais tout d’abord pensé, et une autre femme avait été envoyée en Bétique par Anacrites. Une femme qui n’avait pas encore croisé ma route. Très probablement l’autre danseuse que l’Irresponsable avait engagée pour sa fête. Une nullité qui me suivait à la trace et risquait de compliquer ma tâche. C’était le plus probable. Et certainement, quelqu’un au palais savait que nous nous trouvions tous les deux ici. Alors pourquoi m’avoir envoyé perdre mon temps dans cette province alors qu’Helena avait tellement besoin de moi ?…
Je chassai cette idée. Le palais était certainement
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