Crépuscule à Cordoue
passé la nuit – les yeux larmoyants et l’estomac douloureux –, je découvris l’ancien forum avec ses temples et une atmosphère plus sereine – mais visiblement trop petit pour cette ville en pleine expansion. Et plus bas, en descendant vers le fleuve, je tombai sur une troisième place, très vaste, où l’activité commerciale faisait rage. Il y avait aussi d’autres thermes bien plus grands que ceux du forum moderne. Les changeurs d’argent étaient déjà au travail. J’étais resté mêlé à la foule jusqu’à ce que j’aie l’impression d’appartenir au nouveau milieu dans lequel je me trouvais plongé. Puis, je m’étais éloigné dans une ruelle transversale où j’avais déniché cette taverne. Pas vraiment un bon choix.
En voyant arriver d’autres musiciens, je me hâtai de payer l’addition – très bon marché –, et je sortis terminer mon pain et mon jambon fumé dans la rue. Je quittai la ville pour me diriger vers le fleuve. Ici, le Guadalquivir était très large et la marée se faisait sentir. Partout, des jetées, constituées de gros blocs de pierre, et des bureaux de transporteurs maritimes. Marchands, marins, porteurs menaient grand tapage. Partout, des cargaisons étaient chargées ou déchargées. Les chalands côtoyaient des navires de haute mer. Des fortunes se bâtissaient grâce à des denrées que personne ici n’avait produites : huile, vin, tissus, minerais, cinabre. Le rêve pour un intermédiaire.
Je finis par découvrir le local de la guilde des mariniers, où l’on m’apprit que Cyzacus venait rarement et qu’il habitait à Italica.
— Il est très demandé depuis quelque temps, dit l’homme qui m’avait renseigné. Qu’est-ce qui peut bien le rendre si populaire ?
— Je ne le connais pas, alors tu dois le savoir mieux que moi. Qui d’autre l’a demandé ?
— Quelqu’un de beaucoup plus joli que toi.
— Une femme ?
Je n’étais pas surpris le moins du monde. Mais bougrement irrité ! On pouvait se fier à Anacrites pour me mettre des bâtons dans les roues. Heureusement que je travaillais pour Læta, même si je ne lui accordais pas beaucoup de crédit non plus. Le chef espion ne m’avait engagé personnellement qu’une seule fois… uniquement dans le dessein de me pousser dans un piège et de me faire condamner à mort.
— Et est-ce qu’il est venu rencontrer cette femme ?
— Certainement pas. Il ne vient que quand l’envie lui prend de nous casser les pieds !
Il m’était facile de deviner qu’ils le considéraient comme un vieil emmerdeur qui se sentait supérieur à eux. Pure jalousie. Je sus immédiatement à quoi m’en tenir à son sujet : c’était lui le meilleur. Il avait travaillé dur toute sa vie et, grâce à ses deux fils, ses affaires continuaient de prospérer.
Je m’enquis de la meilleure façon de me rendre à Italica, mais avant de me mettre en route j’avais une autre tâche à accomplir.
Norbanus, le négociateur gaulois, occupait un bureau majestueux qui donnait sur la grande place. Ceux qui me renseignèrent n’essayèrent pas de dissimuler le mépris qu’ils éprouvaient à son égard. Les autochtones apprécient rarement les étrangers qui réussissent. Il suffisait de jeter un bref coup d’œil à la porte massive, au sol de mosaïque, aux statues sur leurs socles de marbre, à la façon dont son personnel était vêtu, pour comprendre que Norbanus était passé maître dans l’art de gagner beaucoup d’argent avec les marchandises des autres.
Les employés étaient bien habillés, mais aussi apathiques que la plupart des commis quand le maître est absent. Comme il était gaulois, beaucoup de ses auxiliaires étaient des membres de sa famille. Et la réponse qu’ils me firent – après avoir longuement et bruyamment discuté entre eux – était tout aussi gauloise. En termes choisis, l’un d’eux prit l’initiative de me dire que Norbanus était absent. Ils auraient pu me l’annoncer tout de suite ; mais non, les Gaulois aiment compliquer les débats. Ils ont l’impression d’appartenir à une essence supérieure, ce qui ne les empêche pas d’éprouver souvent le désir barbare de vous trancher la tête avec un très long sabre.
Logiquement, je demandai quand Norbanus viendrait à son bureau. Ils m’indiquèrent une heure fantaisiste et nous nous serrâmes tous la main. Je grinçais des dents d’une manière incontrôlable, mais réussis à demeurer
Weitere Kostenlose Bücher