Crépuscule à Cordoue
entrailles de maquereau de première qualité.
Je n’avais pas goûté le garum, mais d’après la qualité du souper, je ne risquais rien à l’affirmer.
— Dois-je comprendre que je suis pardonné ?
— Si tu promets qu’à l’avenir tu vas essayer de te rappeler où tu habites, répondit-elle en souriant. Mais il faut que je te dise que tu n’en as pas vraiment terminé avec cette histoire, Falco chéri. J’étais tellement inquiète que, dès l’aube, je me suis précipitée chez Petronius Longus.
Petro avait beau être mon meilleur ami, il ne m’épargnait jamais ses sarcasmes. Il était officier de la Garde aventine. Helena Justina laissa échapper un charmant petit rire avant d’ajouter :
— Tous ses vigiles sont en train de te chercher…
Elle adopta un air faussement contrit. Elle savait que j’étais désormais condamné à souffrir publiquement. Tout l’Aventin devait déjà être au courant que j’avais disparu la nuit dernière ; et il était inutile que je cherche à inventer une histoire, car la vérité se saurait tôt ou tard.
6
Grâce à Junon, Petronius Longus était tellement occupé à poursuivre de vrais criminels qu’il n’eut pas le temps de se mettre à ma recherche.
J’occupai tout le restant de la matinée à somnoler, à réclamer des remèdes contre la migraine, à accorder autant d’attention que je le pouvais à la femme qui avait choisi de passer sa vie avec moi.
Puis une distraction se présenta. Nous entendîmes un homme bruyant et irascible, à en juger par les onomatopées qui parvenaient jusqu’à nous, grimper l’escalier extérieur. Nous nous gardâmes bien de bouger avant de voir de qui il s’agissait. C’était Claudius Læta, qui parut dépité du simple regard interrogateur que nous lui accordâmes. Il s’attendait visiblement à être reçu avec beaucoup plus d’égards.
J’étais pourtant rasé, lavé, massé, et j’avais enfilé une tunique propre. Plusieurs pintes d’eau froide et un repas léger à base de concombres et d’œufs m’avaient revivifié. J’étais assis devant la table, comme un maître de maison qui se respecte, en train de m’entretenir avec ma femme en lui laissant poliment choisir les sujets de notre conversation. À la vérité, la bouche pleine de gâteau au moût de vin, Helena Justina ne se montrait pas très loquace. Elle l’avait acheté lors de son escapade matinale, d’abord pour elle-même, mais aussi un peu pour moi, car elle se disait in petto que je finirais bien par rentrer au bercail, en lui servant une histoire à dormir debout.
Nous étions donc tranquillement assis, quand le chef secrétaire débarqua en trombe. Fort heureusement, nous avions installé provisoirement notre table dans la première pièce qui n’était décorée d’aucune fresque obscène. Je l’accueillis d’un air résigné, avant d’aller quérir un autre siège en prenant tout mon temps. J’étais certain que ce qu’il était venu m’apprendre ne serait pas plaisant.
Læta s’assit. Dans cette rue populaire de l’Aventin, le grand homme était loin de ses bases et visiblement mal à l’aise. Je n’avais indiqué ma nouvelle adresse à personne, préférant laisser les fâcheux grimper en vain les six étages de l’immeuble opposé. C’était ce qu’il avait sans doute commencé par faire, avant d’apprendre – vraisemblablement de la bouche de Lenia, la blanchisseuse établie au rez-de-chaussée de l’immeuble – que je louais également un appartement en face, au-dessus de la boutique du vannier. Heureusement pour nous, il avait pu se défouler d’une partie de ses frustrations en insultant le charretier qui l’avait renversé alors qu’il traversait la rue.
— Peut-être que Marcus Didius peut te conseiller sur la façon de le poursuivre en justice ? suggéra Helena Justina avec un soupçon de raillerie patricienne.
D’après sa mine, c’était plus qu’il n’en pouvait supporter.
Je fis les présentations dans les règles :
— Helena Justina, fille de Camillus Verus, sénateur et ami de Vespasien, comme tu dois le savoir.
— Ton épouse ? chevrota-t-il.
Il trouvait la chose parfaitement incongrue, mais s’efforçait de n’en rien laisser paraître. Helena et moi lui répondîmes par un large sourire.
— Quel est ton problème ? demandai-je aimablement.
Il y en avait forcément un, sinon un personnage officiel de son importance ne se serait pas traîné
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