Crépuscule à Cordoue
jusqu’ici, surtout sans escorte.
Il jeta, en direction d’Helena, un coup d’œil qui signifiait clairement que je devrais me débarrasser d’elle. Pas facile, même si j’en avais eu l’intention. Ma compagne se contenta de s’envelopper plus étroitement dans son étole et de sourire de nouveau au chef secrétaire avant de continuer imperturbablement à manger son gâteau. Il n’eut pas le cran de suggérer que nous nous rendions tous les deux dans un bar à vin. Alors, après s’être installée un peu plus confortablement dans son fauteuil de rotin, les pieds posés sur son tabouret personnel, Helena se prépara à écouter attentivement ce que Læta avait à dire.
Elle lécha délicatement ses longs doigts élégants en le dévisageant de ses grands yeux pétillant de malice. Les efforts physiques qu’il venait de fournir et la tension qu’il ressentait le faisaient transpirer inconsidérément. N’ayant toujours pas réussi à me forger une opinion en ce qui le concernait, j’étais impatient de savoir ce qu’Helena pensait de lui.
— Est-ce que le dîner t’a plu, Falco ?
— Tout était excellent.
Des années passées à encourager des clients hésitants m’avaient appris à me montrer patient. Et j’avais la nette impression que c’était un client potentiel qui se tenait en face de moi. Toutefois, il m’était déjà arrivé de refuser de travailler pour des gens plus importants que lui. Tout dépendait de ce qu’il avait à me demander.
— J’en suis heureux… J’ai besoin de ton aide, ajouta-t-il sans transition.
Je levai un sourcil surpris, comme si une idée aussi loufoque ne m’avait jamais traversé l’esprit.
— Que puis-je pour toi ?
Cette fois-ci, Læta se tourna franchement vers Helena :
— Tu as peut-être quelque chose qui t’attend sur le métier à tisser ?
Il avait de la suite dans les idées, mais il fit mine de plaisanter, au cas où elle refuserait de bouger.
— Non, ne t’inquiète pas, j’ai tout mon temps.
Je ne pus dissimuler un sourire. Helena Justina ne m’avait jamais promis de se conduire en épouse romaine traditionnelle : vivre quasiment en recluse, se montrer soumise aux mâles de la famille, apporter une grosse dot et tisser les tuniques de tout le monde. Tout ce que j’obtenais, c’était le lit et la conversation ; et il m’arrivait souvent de penser que j’étais mieux loti que les vieux républicains.
Læta se décida enfin à se jeter à l’eau. Il braqua son regard sur moi comme pour faire abstraction de ma compagne.
— J’ai besoin de l’aide de quelqu’un à qui je puisse entièrement me fier.
Ce n’était pas la première fois que j’entendais ce genre d’antienne.
— Tu es en train de me dire que ce travail est dangereux !
— Tu pourrais en retirer beaucoup d’argent, Falco.
Encore une rengaine archiconnue.
— Est-ce qu’il s’agit d’une mission officielle ?
— Oui.
— J’aimerais que tu précises un peu, Læta. Est-ce que c’est « officiel entre amis » ? « Officiel mais je ne suis pas autorisé à mentionner le nom de la personne très haut placée qui a besoin de ce service » ? ou « Officiel, mais si ça tourne mal je nierai t’avoir demandé quoi que ce soit » ?
— Es-tu toujours aussi cynique, Falco ?
— Ce n’est pas la première fois que je travaille pour le palais, tu le sais très bien.
Helena Justina jugea le moment opportun d’intervenir :
— Marcus a déjà risqué sa vie plusieurs fois au service de l’Empire. Tout ce qu’il en a retiré, c’est un salaire dérisoire et le refus d’une promotion sociale, alors qu’on la lui avait promise.
— J’ignore tout des conditions dans lesquelles on t’a employé auparavant, Marcus Didius. (En bon fonctionnaire, Læta rejetait la faute sur d’autres services.) Mon secrétariat n’a jamais eu à subir de reproches en ce domaine.
— Je veux bien te croire, mais ce n’est pas pour ça que je vais accepter d’office.
— Laisse-moi au moins t’expliquer de quoi il s’agit, protesta-t-il à juste titre. Je me suis laissé dire que tu étais un excellent agent.
— Si c’est vrai, c’est parce que je n’accepte pas n’importe quoi. Mais vas-y, je t’écoute.
Son soulagement était palpable.
— Je peux t’assurer que tu seras payé sans problème. De combien parlons-nous ?
— Je te le dirai quand je saurai en quoi consiste le travail.
Il ne pouvait plus
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