Crépuscule à Cordoue
cherché à m’écarter de sa route. Après avoir vainement essayé de me discréditer, il avait élaboré un plan machiavélique pour me faire exécuter par un despote oriental. N’empêche que je croyais le connaître suffisamment bien pour déjouer ses manigances.
— Que se passe-t-il, Falco ? Est-ce que mon jeune et noble ami te chercherait des ennuis ?
Je lui répliquai que son jeune et noble ami risquait de se faire rectifier le nez dans un proche avenir s’il ne modifiait pas son attitude envers moi. Anacrites le prit mal, et l’hostilité que nous éprouvions l’un pour l’autre ressurgit de plus belle.
Je levai les yeux et fixai mon regard sur une lampe – une lampe en bronze qui avait la forme d’un phallus volant. Remplie de bonne huile bétique, elle produisait une belle flamme dépourvue d’odeur. Soit ce récipient obscène se balançait plus qu’il n’aurait dû, soit j’avais abusé de ce bon vin de Barcino. En laissant échapper un soupir, je me promis d’arrêter de boire.
Par la suite, il ne se passa rien d’intéressant. Du moins, pour moi. Je suppose que quelqu’un obtint un rendez-vous de la danseuse hispanique… C’était le genre de soirée où l’on se devait de respecter la tradition.
Quand je partis enfin, le bourdonnement des conversations se faisait toujours entendre. Peu de gens avaient déjà pris congé et, à ma connaissance, personne n’avait encore succombé à la ripaille. Un problème se présenta alors à moi : comment transférer sur mon épaule une amphore qui m’arrivait à la taille et refusait obstinément de bouger ? L’homme à la tunique safran était en train de réclamer sa cape et paraissait relativement sobre ; il me suggéra de me faire aider par des esclaves qui transporteraient l’encombrant objet jusque chez moi à l’aide d’une perche placée en travers de leurs épaules. Je trouvai sa proposition fort judicieuse, et nous éclatâmes de rire tous les deux. J’étais trop gris pour penser à lui demander son nom, tout en étant conscient que j’avais affaire à quelqu’un d’aimable et d’habile. Il ne m’échappa pas non plus qu’il était seul.
Étonnamment, mes jambes me conduisirent du Palatin à l’Aventin sans me causer trop d’ennuis. L’appartement où j’habitais depuis plusieurs années se trouvait au sixième étage d’un immeuble délabré, et les esclaves refusèrent tout net d’y grimper. J’abandonnai donc l’amphore au rez-de-chaussée, après avoir pris soin de la dissimuler sous une pile de toges sales dans la laverie de Lenia. J’eus soudain l’impression que mon pied droit et mon pied gauche avaient décidé de se désolidariser. Je ne me souviens pas comment je parvins à les persuader de me conduire sous les toits.
Je finis par émerger d’un trou noir, réveillé par les cris des marchands à la sauvette. Je compris qu’ils me dérangeaient depuis un bon bout de temps, sans que je parvienne à reprendre conscience. C’était le premier avril et, d’après ce que je pouvais entendre, il régnait une activité fébrile à l’extérieur. Des chiens aboyaient après des poules qui caquetaient de frayeur. De jeunes coqs chantaient pour le plaisir alors que l’aube était levée depuis longtemps. Les pigeons qui roucoulaient bruyamment sur les tuiles du toit me tapaient sur les nerfs. La lumière qui entrait à flots par la porte-fenêtre du balcon m’empêchait d’ouvrir les yeux.
Machinalement, l’idée d’avaler un petit déjeuner m’effleura avant de s’enfuir aussi vite qu’elle était venue.
Je me sentais en piteux état. Quand je me levai de la couche de lecture défoncée sur laquelle je m’étais écroulé, la vue de l’appartement me rendit encore plus malade. Inutile d’appeler Helena pour me faire pardonner. Elle n’était pas là.
Je ne me trouvais pas chez moi.
Je n’arrivais pas vraiment à croire que j’avais agi de la sorte. Pourtant, j’avais tellement mal à la tête que c’était plausible. Je me trouvais dans le trou à rat que nous avions fini par quitter.
Helena Justina se trouvait dans notre nouvel appartement où elle avait dû m’attendre toute la nuit. C’est-à-dire si elle n’avait pas décidé de partir en m’abandonnant à mon triste sort, sous prétexte que j’étais resté à bambocher toute la nuit – ce qu’une femme traduit forcément par coucher avec une autre fille.
5
Au premier étage d’un immeuble qui se dressait
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