Crépuscule à Cordoue
de l’autre côté de la Cour de la Fontaine, il y avait un appartement sombre. À première vue, les constructions qui bordaient ce côté-là de la rue étroite paraissaient de meilleure qualité, mais c’était simplement une illusion d’optique. Le soleil n’éclairant jamais le délabrement des façades, il passait davantage inaperçu. Découragés, cependant, les locataires faisaient parfois la grève du loyer… jusqu’au jour où le propriétaire envoyait des gros bras les tabasser. Bien souvent, ils préféraient se laisser mourir de misère pour échapper à leur pitoyable condition.
Tous ceux qui habitaient là ne pensaient qu’à en partir : le marchand de paniers qui occupait le magasin du rez-de-chaussée souhaitait rejoindre sa famille en Campanie ; Helena Justina et moi rêvions d’une villa cossue avec l’eau courante, entourée de pins et dotée d’une élégante colonnade où les invités pourraient tenir des conversations passionnantes sur des sujets hautement philosophiques… En réalité, nous aurions accepté n’importe quoi, plutôt que ce logement de trois pièces, petites et biscornues, sous-loué au vannier.
La porte d’entrée avait été enlevée de ses gonds et posée à plat pour être repeinte. À l’intérieur de l’appartement, je me faufilai le long d’un étroit couloir très encombré, car la décoration et le rangement n’étaient pas terminés. La première pièce, aux murs nus, était vide de meubles. La deuxième aussi, si l’on réussissait à ignorer une fresque incroyablement obscène qui ornait le mur en face de la porte. Une mission impossible. Helena Justina passait une grande partie de son temps à gratter les couples en train de copuler dans des positions acrobatiques et les satyres qui les observaient l’œil égrillard, à moitié dissimulés derrière des buissons de lauriers. Il s’agissait là d’un travail de longue haleine. Ce jour-là, je trouvai les racloirs et les éponges abandonnés dans un coin. Il m’était facile de deviner pourquoi.
Je continuai d’avancer en direction de la dernière des trois pièces. Dans cette partie du couloir, un plancher récemment posé ne s’enfonçait pas sous mon poids. Il faut dire que j’avais passé une éternité à fixer les planches au même niveau. Les murs étaient décorés de petites plaques grecques choisies par Helena Justina et représentant des scènes olympiques. Une niche semblait impatiente d’accueillir les dieux du foyer. Un tapis rayé rouge et blanc, que je ne connaissais pas, attira mon regard ; dessus, dormait une chienne hirsute qui se leva et s’éloigna d’un air dégoûté en m’entendant approcher.
— Salut, Nux.
Nux laissa échapper une vesse odoriférante et se regarda le derrière d’un air surpris.
Je frappai légèrement avant d’ouvrir la porte. Je me sentais tellement mal à l’aise, que j’espérais presque que l’occupante serait partie se promener.
Mais je n’obtins aucun sursis. Elle était là. J’aurais dû le savoir : je lui avais demandé de ne jamais sortir sans emmener la chienne avec elle. Elle n’avait pas pour habitude d’obéir à mes instructions, mais elle s’était prise d’affection pour l’animal. Et réciproquement.
— Salut, beaux yeux. Est-ce bien ici qu’habite un dénommé Falco ?
— Je n’en ai pas l’impression.
— Ne me dis pas qu’il s’est sauvé pour devenir gladiateur ? Quel porc !
— Il est adulte. Il fait ce qu’il veut.
Pas s’il avait pour deux deniers de raison !
Pour ne pas changer, le nouveau bureau de Falco était meublé à la façon d’une chambre à coucher. Le métier d’enquêteur privé jouit d’une très mauvaise réputation, et les clients seraient déçus d’être reçus correctement. En outre, personne n’ignore que les enquêteurs privés passent la moitié de leur temps à donner des instructions à leur comptable, et l’autre à séduire leur secrétaire.
La secrétaire de Falco lisait un roman grec, bien calée contre la magnifique tête de lit en forme de conque. Elle lui servait aussi de comptable, ce qui pouvait suffire à expliquer son air désabusé. Je ne fis rien pour tenter de la séduire. Un péplum blanc plissé l’enveloppait joliment, et ses cheveux de jais s’ornaient de peignes d’ivoire qui les tenaient éloignés de son visage. Cette jeune femme, grande et bourrée de talents divers, arborait une expression qui me glaça tout de suite le
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