Crépuscule à Cordoue
Claudius Læta pour obtenir des renseignements utiles. J’avais mes propres sources. Des hommes que je pratiquais depuis assez longtemps pour savoir jusqu’à quel point je pouvais me fier à eux. Je n’ignorais pas qu’ils mentaient, fraudaient et volaient quand on leur en laissait l’occasion.
L’homme dont je me mis d’abord en quête, Momus, portait le titre officiel de « surveillant d’esclaves ». Il ressemblait à un bœuf en mauvaise santé et pouvait se montrer aussi dangereux qu’un gladiateur en cavale. Ses yeux étaient perpétuellement chassieux à cause d’une infection chronique, des cicatrices balafraient tout son corps, son teint grisâtre paraissait indiquer qu’il n’avait pas vu le soleil depuis plusieurs décennies. Il ne surveillait plus les esclaves avec beaucoup d’attention. Notre seul point commun était la haine que nous éprouvions tous les deux pour Anacrites ; c’est ce qui avait fini par créer des liens entre nous.
Après l’avoir trouvé, je lui fis part de l’état critique dans lequel se trouvait notre vieil ennemi. C’était supposé être un secret, mais Momus était déjà au courant. J’aurais parié qu’on lui avait également appris qu’Anacrites se trouvait dans le temple d’Esculape, sur l’île Tibérine. J’espérais qu’il n’avait pas encore découvert qu’il se trouvait en réalité chez ma mère.
— Il se passe quelque chose de bizarre, Momus.
— Que veux-tu dire, Falco ?
— Cette attaque a sûrement un rapport avec une investigation que menait le chef espion. Le problème c’est que personne ne semble savoir de quoi il s’agit. Je voudrais rencontrer ses agents ou consulter ses archives.
— Je te souhaite bien du plaisir ! (Il s’efforçait toujours de me décourager.) Anacrites ressemble à une machine à voter athénienne.
— Tu es beaucoup trop subtil pour moi, Momus.
— C’est un truc qui empêche soi-disant les fraudes. Quand ils utilisaient des jarres ouvertes, des poignées de votes « s’égaraient ». Maintenant les électeurs enfournent des boules par le haut d’une jarre fermée. Plus de triche possible, mais je me demande où est l’amusement ?
— Qu’est-ce que ça a à voir avec Anacrites ?
— Plein de gens lui bourrent le cerveau de renseignements qu’il garde pour lui. Il faut vraiment une circonstance extraordinaire pour qu’il se décide à pondre un rapport.
— Malheureusement, j’ai bien l’impression que la prochaine personne à qui il va faire un rapport, c’est Charon, quand il va le prendre dans sa barque pour franchir le fleuve des Enfers.
— Je plains ce pauvre Charon ! railla Momus qui, sans aucun doute, aurait bien aimé succéder à Anacrites.
Il est fréquent que de hauts fonctionnaires voient disparaître prématurément un collègue sans en éprouver trop de peine.
— Charon ne va pas chômer, ajoutai-je. Anacrites n’est pas le seul espion à s’être fait défoncer le crâne sur l’Esquilin. On en a trouvé un autre : un charmant garçon qui effectuait des surveillances pour lui.
— Dis-moi, Falco, je le connais ?
— Je sais pas. Il s’appelle Valentinus.
Momus laissa échapper une exclamation de fureur.
— Oh, Jupiter ! Mort ? C’est affreux. Tu parles bien du Valentinus qui habitait sur l’Esquilin ? Ce garçon avait de la classe, Falco. C’était le meilleur élément d’Anacrites.
— Il n’est pas inscrit sur son registre.
— Pas si bête. Il travaillait à son compte. Je l’ai employé moi-même.
— Dans quel domaine ?
— Oh… Pour retrouver des esclaves en fuite.
J’étais persuadé qu’il mentait, mais je n’avais pas envie de connaître la vérité. Les motivations de Momus devaient être trop sordides.
— Il était bon ?
— C’était le meilleur.
Je laissai échapper un profond soupir. Valentinus m’apparaissait de plus en plus comme un homme avec qui j’aurais été heureux de partager un flacon de bon vin. J’aurais pu me lier avec lui lors du fameux souper, alors qui sait ? Si nous étions partis ensemble comme deux vieux copains, j’aurais pu l’aider contre ses agresseurs et peut-être lui sauver la vie ?
Momus m’observait avec attention. Il savait que j’avais une idée derrière la tête.
— C’est toi qui es chargé de l’enquête, Falco ?
— C’est une histoire trop vaseuse, je ne sais pas par quel bout la prendre. Tu crois que je pourrais m’en
Weitere Kostenlose Bücher