Crépuscule à Cordoue
À part ça, il me fiche la paix.
— En ce qui concerne la dernière réunion, est-ce qu’il t’a donné des instructions spéciales ?
— Non. Sauf qu’il voulait être installé dans la salle privée avec son invité.
— Il t’a donné une raison ?
— Non, mais c’était inutile. Il avait envie de contrarier Attractus, comme d’habitude.
— Et son invité était Valentinus ?
— Non, c’était le fils du sénateur. Celui qui vient de rentrer de Cordoue.
— Ælianus ? !
Le frère d’Helena. Je savais enfin par qui il avait été invité à ce souper. Et ce n’était pas une bonne nouvelle.
— Je connais très bien cette famille. J’ignorais pourtant qu’Anacrites et Ælianus étaient amis.
— Amis, c’est sûrement un bien grand mot, fit cyniquement remarquer Helva. Je pense que chacun d’eux espère utiliser l’autre. Et pour qui connaît Anacrites, il n’y a pas de doute à avoir sur le résultat de l’opération !
Je ne fis aucun commentaire.
— Tu as eu l’air de savoir qui était Valentinus, quand j’ai mentionné son nom. Qui l’avait invité ?
— Personne !
Helva m’observa attentivement. Il cherchait à deviner ce que je savais déjà. Si je voulais lui soutirer des renseignements importants, je devais lui faire croire que j’étais très informé.
— Est-ce que ça signifie que Valentinus était membre de la Société Bétique ?
Conscient que je pouvais facilement le vérifier, il fit non de la tête d’un air contraint et gêné.
— Il t’a fourré combien dans la main pour que tu le laisses entrer ?
— C’est une suggestion immonde. Je suis un serviteur de l’État…
Je lui coupai la parole en indiquant la somme que, moi, je lui aurais offerte et, d’après son attitude dégoûtée, je compris que j’étais mesquin.
Je tentai de toucher ses bons sentiments, si la chose était possible.
— Je ne pense pas que tu sois au courant : Anacrites a été grièvement blessé.
— Si, on me l’a dit. C’est un secret.
Je lui appris alors la mort de Valentinus. Cette fois, je vis son visage se défaire. Tous les esclaves sont capables de deviner quand de sérieux ennuis se profilent à l’horizon.
— Tu comprends que la situation est grave, Helva. Tu as intérêt à cracher gentiment le morceau, sinon je serai obligé de te faire interroger par des spécialistes qui sauront te rafraîchir la mémoire. Est-ce que Valentinus t’avait déjà payé pour assister à des réunions de la Société Bétique ?
— Une ou deux fois, admit-il.
— Mais comment a-t-il réussi à s’introduire dans la salle privée ?
— Il était doué, déclara Helva sans chercher à dissimuler son admiration. Il a repéré un Bétique qui arrivait et s’est mis à bavarder avec lui. Puis il l’a suivi tout naturellement.
C’est un tour que je connaissais bien. Deux phrases sur la pluie et le beau temps peuvent vous permettre d’assister à bien des soirées privées.
— C’était d’autant plus facile qu’officiellement, Attractus n’avait pas le droit de se réserver une salle, poursuivit-il. S’il restait des places disponibles, n’importe qui pouvait les occuper.
— Donc, il n’a pas protesté contre la présence de Valentinus ?
— Il ne pouvait pas se le permettre. Pas plus qu’il ne pouvait se plaindre de celle d’Anacrites. De toute façon, Attractus n’est pas très observateur. Il devait être tellement furieux d’avoir le chef espion sous le nez qu’il n’a même pas dû remarquer Valentinus.
Je me demandai alors si ce sénateur si peu observateur m’avait remarqué, moi.
Je parlai alors à Helva du spectacle :
— Qui a engagé les musiciens ?
— C’est moi.
— C’est la procédure habituelle ? Tu choisis toujours les artistes ?
— Pas toujours, mais souvent. Les chers membres ne s’intéressent qu’à la nourriture et au vin.
— Il y a toujours une danseuse hispanique ?
— C’est approprié, non ? Sauf qu’elle n’est pas hispanique. Pas plus que tous les gladiateurs ne sont thraces, les diseuses de bonne aventure égyptiennes ou les flûtistes syriens. C’est comme les jambons, d’ailleurs. Presque tout le jambon hispanique que tu as mangé venait des porcheries du Latium.
— Est-ce que tu insinues que tu choisis toujours la même danseuse ?
— D’abord elle n’est pas mauvaise, et ensuite, les convives se sentent davantage en confiance s’ils
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