Crépuscule à Cordoue
connaissent déjà le numéro.
— Attractus s’est vanté devant moi de l’avoir payée. C’est son habitude ?
— En général, oui. Ça lui permet de prouver qu’il est riche, et la fille commence toujours par la salle où il se trouve. Les autres sont contents de ne pas avoir à plonger la main dans leur bourse, et ça permet à Attractus d’impressionner ses invités.
Il me précisa que le nom de la fille était Perella. Tout de suite après l’avoir quitté, je me préparai mentalement à revoir le corps superbe qui m’était apparu déshabillé en Diane chasseresse.
Arrivé devant elle, j’eus une première surprise : je m’attendais à être accueilli par la fille aux cheveux de jais qui s’était montrée si désagréable avec moi ; or, à ma grande surprise, Perella était petite, boulotte, blonde et renfrognée.
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À la vérité, la qualifier de blonde était faire preuve d’une grande mansuétude. Sa chevelure avait la texture du foin et à peu près la même teinte. À première vue, elle donnait l’impression de se peigner une fois par mois, puis de piquer des épingles d’os jour après jour dans ses cheveux pour tenter de discipliner les mèches rebelles. L’échafaudage branlant aurait pu abriter un nid de souris et sa dot.
Au-dessous, les choses s’arrangeaient légèrement. Impossible cependant de dire qu’elle avait de la classe. Distribuée dans le rôle chaste d’une déesse lune éthérée, elle n’aurait pas obtenu un franc succès ; comme compagne dans un bar à vin, elle pouvait certainement aider un homme à prendre du bon temps. Elle avait atteint un âge qui permettait de supposer que son expérience était grande. Dans de nombreux domaines.
— Oh ! Est-ce que je me serais trompé d’adresse ? Je cherche Perella. Tu es une de ses amies ?
— Qu’est-ce que tu racontes ? C’est moi, Perella.
Une chose était sûre : ce n’était pas elle qui avait dansé devant moi l’autre soir. Elle me gratifia d’un sourire qu’elle devait croire dévastateur et demanda :
— Qu’est-ce que je peux faire pour toi, centurion ?
— M’accorder une chaste conversation, aimable jeune fille.
Elle n’en crut naturellement pas un mot. Elle était réaliste.
— Je m’appelle Falco.
De toute évidence, ça ne lui disait rien. Tant mieux ! C’était préférable que je ne sois pas précédé par ma réputation.
— Je suppose que tu aimerais voir mes références ? poursuivis-je. Connais-tu Thalia, la charmeuse de serpents du Cirque de Néron ?
— Jamais entendu parler d’elle.
Zut ! Il fallait trouver un autre moyen d’entrer dans le monde de Terpsichore.
— Dommage, parce qu’elle aurait pu répondre de moi.
— Dans quel domaine ? demanda la danseuse d’un air grivois.
— Je suis chargé d’une enquête délicate et je voudrais te poser quelques petites questions.
— Quel genre ?
— J’aimerais savoir, par exemple, pourquoi une danseuse aussi aguichante que toi n’est pas venue se produire devant la Société de Producteurs d’Huile d’Olive Bétiques avant-hier soir ?
— En quoi ça t’intéresse ? demanda-t-elle, un brin soupçonneuse. Tu étais venu pour me voir danser ? Je croyais qu’ils acceptaient seulement les hommes jeunes, beaux et riches ?
— Et pourtant j’y étais.
— Je leur ai toujours reproché de laisser entrer n’importe qui.
— Cessons de plaisanter ! suggérai-je froidement. Je sais que tu viens régulièrement danser pour eux quand ils organisent un souper. Alors pourquoi pas lors du dernier ?
Ce changement de ton eut l’effet escompté :
— J’aimerais bien le savoir ! se plaignit-elle. J’ai reçu un message comme quoi mon numéro était annulé. Que voulais-tu que je fasse ?
— Qui t’a envoyé ce message ?
— Helva, je suppose.
— Je peux t’assurer que non. Helva est persuadé que c’est toi qui as dansé ce soir-là. C’est d’ailleurs lui qui m’a envoyé te voir.
Une soudaine fureur s’empara d’elle :
— Ça signifie que quelqu’un s’est payé ma tête !
L’idée me traversa l’esprit que Helva lui-même avait souhaité engager une danseuse ayant un peu plus de classe, sans oser le dire franchement à Perella ; mais ça ne tenait pas debout, parce que si tel avait été le cas il ne m’aurait pas donné son adresse.
— Qui est venu te prévenir ? demandai-je.
— Quelqu’un que je connaissais pas.
— Tu peux
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