Crépuscule à Cordoue
est enceinte sont contraints de chercher ailleurs l’occasion de pratiquer certaine gymnastique, me lança un clin d’œil complice et promit de me prévenir à l’instant même où la superbe Diane serait repérée. Ce fut le moment précis choisi par Helena Justina pour annoncer sur un ton glacial qu’elle allait rentrer à la maison. Et elle nous quitta sur-le-champ, suivie de Nux.
Quant à moi, je partis rendre visite à Quinctius Attractus.
Si une enquête implique un sénateur, je commence tout de suite en haut de l’échelle. Et pourtant, questionner un honorable patricien créait habituellement le genre de chaos dont les philosophes parlent quand ils font référence aux limites de l’univers : un vortex d’obscurité insondable ; en d’autres termes : ignorance politique, magouilles commerciales et mensonges flagrants.
Tout le monde aura déjà compris – même ceux qui viennent tout juste de débarquer de leur province –, que M. Didius Falco, l’enquêteur privé intrépide, s’était déjà essayé à interroger des sénateurs.
Impressionné par mon rang – ou était-ce par le demi-denier que je venais de lui glisser dans la main ? –, le portier me laissa entrer. J’étais heureux de pouvoir me mettre à l’abri d’une méchante bise d’avril qui s’engouffrait dans les rues de la cité. Attractus occupait une résidence majestueuse, regorgeant d’art illustrant des civilisations plus raffinées que la nôtre : les turquoises et émaux égyptiens, l’or thrace, le bronze étrusque, le marbre pentélique encombraient salles et couloirs. Des forêts de socles mettaient en valeur des vases de porphyre ou d’albâtre. De vieilles armures fabuleuses devaient avoir protégé de célèbres poitrines sur le champ de bataille.
Quinctius Attractus daigna m’honorer en me rejoignant dans ses salles de réception. Notre conversation ne fut pas vraiment privée. Sous chaque arcade, patientait un esclave qui se précipitait sur son passage afin de remettre un pli de sa toge en place. Ils faisaient tous les efforts nécessaires pour lui donner belle apparence. Les lanières de ses bottes étaient parfaitement parallèles. Une pommade efficace maintenait solidement ses quelques boucles éparses. À peine le cabochon d’une de ses bagues avait-il tourné sur le côté que quelqu’un bondissait tout de suite pour le redresser.
Si tout cet apparat m’agaçait prodigieusement, ma frustration ne fit que croître quand il daigna s’exprimer avec condescendance pour ne rien dire. Quand je lui avais précisé que j’avais besoin de l’entretenir au sujet du souper des Producteurs d’Huile d’Olive Bétiques, il n’avait pas paru surpris.
— Oh ! il s’agit avant tout d’une réunion entre amis, avait-il tenu à souligner.
— Le problème, sénateur, c’est que certains de tes amis ont eu de fâcheux accidents de santé en quittant la réunion.
— Vraiment ? Eh bien Anacrites peut répondre de nous tous.
— J’ai bien peur que non. Anacrites lui-même se trouve très mal en point.
— Vraiment ? répéta-t-il.
Un esclave se précipita pour ajuster ses oripeaux bordés de pourpre sur ses larges épaules et ses bras rondelets.
— Oui, quelqu’un l’a attaqué après le souper et il est douteux qu’il s’en sorte.
— C’est affreux, dit-il, en feignant d’être affecté par cette nouvelle. Un homme tel que lui !
— Tu savais qu’Anacrites était le chef espion ? demandai-je pour essayer de le déconcerter.
— Bien évidemment. Impossible de le laisser se joindre à nous sans mettre tous les membres au courant de sa fonction. Beaucoup se seraient posé des questions sur lui et n’auraient pas osé discuter franchement de certains sujets.
— Es-tu en train de me dire que les membres de la Société des Producteurs d’Huile d’Olive de Bétique discutent souvent de sujets sensibles au cours de ces petites réunions.
Il eut l’air outré par mon impertinence, mais je n’avais pas fini :
— Donc, si je comprends bien, vous avez invité le chef espion à rejoindre votre groupe dans l’unique dessein de le suborner. Je parierais même que vous ne lui avez pas réclamé sa cotisation…
— Es-tu en train de me faire subir un interrogatoire officiel ? demanda sèchement Attractus.
Il avait cru que son rang le mettrait à l’abri de ce genre de tourment. Il n’arrivait pas à croire ce qui lui arrivait. Une fureur froide
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