Crépuscule à Cordoue
producteur lui-même ? demandai-je.
— Non. Et Norbanus est un simple négociateur.
— Il négocie quoi ?
J’eus droit à un regard de commisération d’Ælianus.
— Il négocie tout ce qui est négociable, mais principalement des espaces sur les navires qui vont sur l’océan et qui viennent chercher les amphores d’huile rassemblées à Hispalis. C’est un Gaulois, précisa-t-il avec une grimace éloquente.
— Alors, tout le monde le déteste, c’est ça ?
— Même les provinciaux ont besoin de pouvoir détester quelqu’un, Marcus, plaisanta le sénateur, tandis que son fils ne se départait pas de son attitude méprisante.
— Je suis en train de me représenter l’existence de tout un troupeau d’intermédiaires, commentai-je. Les grands propriétaires produisent l’huile. Puis des chalands la transportent jusqu’à un entrepôt à Hispalis. Ensuite, des négociateurs cherchent de la place sur des navires de haute mer. Et tous ces gens exigent leur pourcentage avant même que les revendeurs de l’Emporium et des autres marchés romains mettent la main sur ces amphores graisseuses. Pas étonnant que le consommateur romain paye l’huile d’olive aussi cher.
— C’est pareil pour les autres produits de première nécessité, fit remarquer le sénateur avec justesse.
— Que penses-tu de cette situation commerciale ? demandai-je à Ælianus.
Il haussa les épaules.
— L’huile d’olive prend une place de plus en plus importante. Et sa production ne cesse d’augmenter en Bétique. L’huile hispanique finira par prendre le pas sur les huiles grecque et italienne. Pour la bonne raison qu’au départ de la péninsule ibérique, il est facile de l’expédier au nord – pour satisfaire les énormes demandes en Gaule, en Germanie et dans l’île Bretagne –, et aussi vers Rome. Un bel avenir s’ouvre devant les producteurs bétiques.
— Et aussi pour les fraudeurs.
— Je ne vois pas de quoi tu veux parler, affirma Ælianus.
— Des malversations commerciales habituelles, précisai-je. Je viens seulement de réaliser l’importance du marché. Il y a des millions de sesterces à gagner. Il suffit de stocker la marchandise pour faire monter les prix.
Je pensais n’avoir plus rien à lui demander. Je venais de constater avec plaisir que son passage dans le bureau du gouverneur lui avait au moins appris à exposer précisément une situation donnée. Decimus lui conseilla de rester à la maison, mais sans se montrer trop insistant, pour ne pas perdre la face au cas où son fils lui désobéirait.
Au moment où il allait franchir le seuil de la porte du bureau, je lançai :
— Oh ! une dernière chose !
Il commit l’erreur de s’arrêter.
— Tu as donc transporté avec toi la lettre mystérieuse destinée à Anacrites. Comment as-tu voyagé ? Par mer ou par terre ?
— Par mer.
— Alors il t’a fallu une semaine ?
Il acquiesça d’un signe de tête.
— Eh bien, Aulus, si tu me confiais ce que tu as lu dans la lettre après avoir rompu le sceau ?
Aulus Camillus Ælianus parvint à ne pas rougir. C’était à porter à son crédit. Il savait quand il était battu. Il réfléchit un petit moment, poussa un long soupir et déclara :
— C’était une réponse à une requête d’Anacrites adressée au proconsul. Il désirait un rapport sur la stabilité du marché de l’huile. L’ancien questeur a étudié la situation et répondu que le marché de l’huile d’olive en Bétique allait prendre une énorme importance.
Après une brève hésitation, il ajouta :
— Et il parlait également de ce que tu as suggéré, Falco, de la possibilité d’intrigues en train de se nouer à Cordoue pour truquer les prix. D’après lui, la méthode des instigateurs de cette fraude n’est pas encore tout à fait au point et il est encore possible de s’y opposer.
— Il cite des noms ?
— Non, dit posément le noble Ælianus. Mais il précise que le proconsul a tenu à ce qu’il mentionne les violentes protestations qu’ont déclenchées leurs recherches. Il est persuadé que la situation pourrait rapidement devenir très dangereuse pour tous ceux qui voudront s’en mêler.
15
C’est en silence que le sénateur et moi traversâmes la maison pour aller retrouver nos femmes. La nuit n’allait pas tarder à tomber, mais nous pouvions profiter d’une des premières belles soirées de l’année. Franchissant une porte pliante qui
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