Crépuscule à Cordoue
long corridor la divisait en deux. Les pièces de réception se trouvaient en façade, et deux appartements plus intimes à l’arrière. Le fermier occupait l’un d’eux. L’autre, qui donnait sur un jardin privé, était réservé aux Camilli en visite. Il n’avait pas l’air d’avoir été utilisé. Soit Marius Optatus était scrupuleux, soit il avait été mystérieusement prévenu de notre arrivée.
— Je suis heureux de voir que tu prends les choses avec philosophie, plaisantai-je.
Maintenant que j’avais vu que les agréments des lieux incluaient une salle d’eau en parfait état à quelques pas de la maison, mon moral s’était nettement amélioré.
— Le jeune Ælianus étant tout juste parti, tu devais te croire tranquille pour vingt ans ! continuai-je.
Il laissa échapper un petit rire. Pour un Hispanique, il était grand, très mince et pâle, avec une expression rusée et des yeux vifs. Parmi les Ibères frisés et les Celtes encore plus hirsutes et courts sur pattes, il devait se détacher comme un chardon dans un champ de blé. Je lui donnais quelques années de plus que moi ; il était donc assez mûr pour diriger une équipe de cultivateurs et encore assez jeune pour espérer que la vie lui sourirait. Il parlait peu. Les hommes réservés peuvent empoisonner l’ambiance d’une petite fête ; ils peuvent également être des personnages dangereux. Avant même de surveiller le transfert des bagages, je m’étais forgé la conviction qu’il cachait quelque chose que j’avais mission de découvrir.
Le dîner fut assez frugal : du thon salé et des légumes que nous partageâmes avec les esclaves de la maison et notre cocher Marmarides, selon une vieille tradition familiale. Nous prîmes ce repas dans une grande cuisine en longueur à l’arrière de la maison. Nous bûmes un vin local qui pouvait paraître acceptable à des voyageurs fatigués – surtout en y ajoutant assez d’eau pour impressionner favorablement la vieille femme chargée de la cuisine et le jeune garçon surveillant les lampes ; ils paraissaient nous prendre pour des gens de qualité et ne nous quittaient pas des yeux. Ensuite, Helena Justina me suggéra d’inviter Optatus à déguster un verre de l’excellent falerne dont j’avais pris soin de transporter quelques amphores. Elle-même refusa d’en boire, mais elle s’assit en notre compagnie. Puis, tandis que je faisais assaut de politesse avec le fermier pour maintenir la conversation sur un terrain neutre, ma compagne se sentit assez remise de ses fatigues pour infliger un véritable interrogatoire à l’homme qui avait affermé la propriété de son père.
— Mon frère Ælianus nous a assuré qu’il avait eu beaucoup de chance que tu acceptes de gérer ce domaine, commença-t-elle.
Marius Optatus nous gratifia de l’un de ses sourires réservés.
— Il a aussi vaguement mentionné que tu avais traversé une mauvaise passe. J’espère que tu ne me trouves pas trop indiscrète ? demanda-t-elle d’un air innocent.
Optatus avait certainement déjà eu affaire à des hommes ayant rang de sénateur – sans inclure le frère d’Helena, trop jeune –, mais j’aurais parié qu’il n’avait pas souvent traité avec la version féminine.
— J’ai été assez malade, admit-il avec beaucoup de réticence.
— Oh ! je l’ignorais, je suis désolée… C’est ce qui t’a obligé à chercher une nouvelle propriété ? Tu étais déjà installé dans cette région, n’est-ce pas ?
— Tu n’es pas obligé de te laisser passer à la question ordinaire, intervins-je.
Il leva sa coupe de vin dans ma direction sans aucun commentaire.
— Enfin, Marcus, j’essaie simplement de l’inclure poliment à la conversation ! protesta Helena Justina.
Optatus ignorait que les bavardages anodins n’avaient jamais fait partie de ses talents de société.
— Je suis loin de la maison, et vu mon état, je dois me faire de nouveaux amis aussi vite que possible ! se justifia-t-elle.
— Est-ce que tu prévois d’accoucher ici ? demanda le fermier sans réussir à dissimuler son appréhension.
Il devait commencer à croire que nous venions nous cacher à l’étranger pour qu’Helena y mette son bébé au monde en secret afin d’éviter le déshonneur à sa famille.
— Certainement pas ! répondis-je à sa place. Une cohorte de vieilles nourrices nous attend de pied ferme à la résidence romaine des Camilli. Et jamais sa
Weitere Kostenlose Bücher