Crépuscule à Cordoue
De cette façon, mon père reçoit un fermage régulier sans avoir à se préoccuper des bonnes et des mauvaises récoltes.
— J’espère qu’il ne s’agit pas d’un ami de ton frère, qui lui ressemblerait dans son comportement !
— Non, non, c’est un homme qui traversait une période difficile et cherchait une ferme à louer. Ælianus s’est convaincu qu’il était honnête. Mais il ne devait pas le connaître personnellement. Tu imagines mon frère en train de boire un verre avec un fermier ?
— En province, il a peut-être été obligé de mettre un peu d’eau dans son vin ?
Helena paraissait sceptique.
— Tout ce que je sais, c’est que cet homme, qui s’appelle Marius Optatus, a été le premier à signaler à mon frère qu’il se faisait gruger. Au début, évidemment, Ælianus l’a pris de haut. Puis il a quand même eu le bon sens de vérifier et s’est aperçu que cet homme avait raison.
— Il est surprenant qu’il l’ait écouté.
— Oui, il a dû en être le premier surpris.
Un locataire aussi honnête, ça me paraissait bien trop beau pour être vrai… Toujours est-il que je n’en espérais pas moins rapporter à l’aimable Camillus que son fils avait fait un bon choix. Malheureusement, pour quelqu’un qui avait été élevé chez des maraîchers, mes connaissances agricoles n’étaient pas très étendues. Néanmoins, je devais être en mesure de constater de grosses anomalies dans la gestion.
Reportant mon attention sur Helena Justina, je la vis préoccupée.
— Marcus, demanda-t-elle. Tu crois ce qu’Ælianus t’a raconté ?
— Sur la ferme ?
— Non. À propos de la lettre qu’il a rapportée à Rome.
— Oui. J’ai eu l’impression qu’il disait la vérité. Quand il a appris de ma bouche ce qui était arrivé au chef espion et à son agent, il a compris qu’il risquait lui-même de sérieux ennuis.
Avant de quitter Rome, j’avais en vain essayé de retrouver la fameuse lettre, mais les papiers d’Anacrites se trouvaient entassés dans un tel désordre que j’y avais renoncé. Et pourtant, j’aurais tellement aimé l’avoir sous les yeux. Même si Ælianus m’avait bien dit la vérité, j’y aurais peut-être découvert un détail qui lui avait échappé. Læta et ses assistants n’avaient pas eu davantage de succès.
La route était de nouveau en triste état. Cette voie d’accès à Cordoue n’était pas à mettre au crédit de la légion travaillant avec compétence au nom d’un homme politique célèbre. Helena Justina évitait pourtant de se plaindre des cahots. Des esclaves appartenant au gouvernement devaient certainement procéder à des réparations urgentes, mais elles n’avaient pas été programmées avant notre passage.
Quand nous commençâmes à être un peu moins secoués, j’ajoutai :
— De toute façon, ton frère est assez intelligent pour deviner que la première chose que je ferais en arrivant ici serait de demander au bureau du proconsul la copie de cette correspondance. J’espère même évoquer la situation avec le proconsul lui-même.
— J’ai réussi à lui parler, dit Helena qui pensait toujours à son frère.
Elle aurait fait une enquêtrice de premier ordre, si ce n’est que les femmes respectables n’étaient pas libres de parler à qui elles voulaient, en dehors des membres de leur famille. Alors, pour ce qui était de frapper à la porte d’inconnus afin de leur poser des questions embarrassantes… Et même moi, je le reconnais, j’éprouvais un certain ressentiment quand elle prenait une telle initiative. Ce qui ne lui échappait pas.
— Ne fais pas cette tête, enchaîna-t-elle. J’y suis allée sur la pointe des pieds. Et puis c’est mon frère, tout de même, alors il n’était pas surpris que j’arrive à le coincer.
S’il lui avait confié quelque chose d’intéressant, elle n’aurait pas attendu si longtemps pour m’en informer. Je me contentai donc de lui sourire. Soudain, nous fûmes projetés en avant et je tendis le bras pour la protéger. Elle me prit la main en ajoutant :
— Justinus m’a promis de continuer à le sonder.
Voilà une nouvelle qui me remonta le moral. J’avais passé une période à l’étranger en compagnie de son plus jeune frère dont j’appréciais énormément les qualités [4] . Si Justinus paraissait immature au premier abord, dès qu’il cessait de soupirer après des filles qui n’étaient pas pour lui, il savait se
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