Crépuscule à Cordoue
toujours aussi désert, le paysage changea de nouveau : les montagnes désolées cédèrent progressivement la place à des collines en pente douce. Puis nous vîmes les premiers oliviers, dont les troncs noueux jaillissaient du sol pierreux à bonne distance les uns des autres.
Nous rencontrions pourtant peu de fermes en chemin, et les rares mansios n’avaient pas grand-chose à offrir. En outre, les aubergistes étaient très étonnés de voir leurs petites chambres nues soigneusement inspectées par une fille de sénateur dont la grossesse paraissait très avancée. Tous étaient habitués à voir les Romains voyager avec un entourage d’amis, d’affranchis et d’esclaves. Pour couper court aux explications embarrassantes, nous étions obligés de prétendre que notre escorte s’était égarée.
Marmarides, bien placé pour savoir que cette escorte n’avait jamais existé que dans notre imagination, trouvait la situation très cocasse.
— Vous venez passer vos vacances d’été en Bétique ? nous avait-il demandé.
— Exactement, avais-je répliqué. Dès que possible, je vais m’étendre dans un hamac sous un olivier, avec la chienne à mes pieds et un pichet de vin à portée de la main.
Il était aussi noir qu’une olive du pays. Stertius devait l’avoir ramené d’Afrique du Nord. J’acceptais sa compagnie avec plaisir, en essayant d’oublier que je ne me fiais à personne. J’aurais tout de même préféré que sa carrure s’apparente davantage à celle de son maître – dans l’éventualité où quelqu’un nous aurait cherché des ennuis.
Ma réponse avait suscité un large sourire sur le visage du cocher qu’il creusait de nombreuses rides.
— Stertius pense que tu es un agent du gouvernement, et que la femme qui t’accompagne vient accoucher en cachette.
— Je constate qu’en Bétique, vous vous exprimez franchement.
— Tu as besoin d’aide ?
— En aucune façon. Comme je te l’ai déjà dit, je suis venu ici pour fainéanter.
Cette fois-ci, il éclata d’un rire tonitruant. J’appréciais beaucoup de voir un homme effectuer son travail dans la joie. C’était loin d’être mon cas.
Quelques-uns des aubergistes nous soupçonnaient de mener une enquête pour le compte du questeur de la province. Je ne les détrompais pas, dans l’espoir d’obtenir un meilleur dîner. Espoir toujours déçu.
— Helena, parle-moi de la propriété de ton père, demandai-je.
Profitant d’un tronçon de route qui ne nous secouait pas trop, je m’étais installé auprès d’elle, à l’intérieur du cabriolet.
— Elle n’est pas très grande, tu sais. Une simple ferme qu’il a achetée quand l’idée lui est venue d’envoyer Ælianus en Bétique.
Camillus père possédait pour un million de terres en Italie – condition requise pour entrer au Sénat –, mais avec deux fils à établir, il cherchait à investir judicieusement. Et comme beaucoup de riches Romains, il achetait des biens dans diverses provinces pour éviter d’avoir trop à pâtir en cas de sécheresse ou de révolte tribale.
— C’est là qu’Ælianus habitait ?
— Oui, mais le connaissant, il s’arrangeait sûrement pour mener la grande vie à Cordoue le plus souvent possible. Il y a une grande maison rustique où il était censé mener une vie tranquille… Je ne sais pas qui pourrait croire ça ! Quoi qu’il en soit, il a trouvé un fermier qui occupe seulement une partie de la maison. L’autre est réservée à la famille. Mon père l’a achetée par l’entremise d’un agent qui s’est débrouillé à lui vendre une ferme sur laquelle il y a très peu d’oliviers. Alors qu’on ne trouve quasiment que ça dans cette région.
— Il s’est fait rouler ? demandai-je.
— On récolte des amandes et du grain.
Si, pour ne pas risquer de vexer Helena Justina qui l’aimait beaucoup, je ne fis aucun commentaire sur le sens des affaires de son père, je me dis in petto que ce n’étaient pas ces amandes et ce grain qui allaient enrichir les Camilli.
— C’est vrai que le grain hispanique est le meilleur de l’Empire, après l’africain et l’italien. Mais autre chose, Helena, ton père m’a dit que tu me mettrais au courant de certains problèmes, au cas où je verrais une solution…
— Ah, oui ! Papa se faisait gruger sur le peu d’huile d’olive que produit la propriété. C’est pourquoi Ælianus a préféré remplacer le métayer par un fermier.
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