Crépuscule à Cordoue
d’un vaste parc. Une allée interminable y conduisait ; elle était brillamment illuminée, tout comme les terrasses qui l’entouraient. Ce n’était pas vraiment surprenant : un producteur d’huile de son importance pouvait se permettre d’allumer beaucoup de lampes.
Les mêmes personnalités qui se donnaient en spectacle au théâtre commençaient à se rassembler pour dîner chez lui. Des hommes chevauchant de superbes pur-sang arrivaient en un flot régulier, tandis que des voitures dorées transportaient leurs femmes trop gâtées. Je vis aussi les bergers qui avaient participé à la parade de l’après-midi. Peut-être allaient-ils se livrer à des rites de purification dans les écuries d’Annæus, mais j’en doutais. Ils étaient plutôt venus réclamer leur dû pour une journée de travail. Il y avait également quelques bergères dans le groupe, dont une qui possédait d’immenses yeux marron pleins de promesses. À une certaine époque, j’aurais volontiers tenté ma chance… Avant de devenir un futur père responsable… De toute façon, je n’avais jamais été attiré par les femmes qui avaient de la paille dans les cheveux.
Je me présentai à un majordome. L’hospitalité bétique est légendaire. Il me demanda d’attendre tandis qu’il allait informer son maître de ma présence. Toute la maison était parfumée de délicieux fumets venus des cuisines. J’espérais bien me voir offrir un plat relevé ou deux. Ils avaient certainement compté large. Je ne tardai cependant pas à découvrir que les Cordouans n’ont rien à envier aux Romains. Ils savent comment traiter un enquêteur – même quand il se présente comme un envoyé officiel de l’empereur. Je dus attendre une éternité et l’on ne m’offrit même pas un verre d’eau.
La nuit était tombée. Il faisait encore jour quand j’avais quitté la ville, mais quand je fus enfin conduit en présence d’Annæus Maximus, je voyais déjà les premières étoiles briller au-dessus des montagnes dont on distinguait toujours la forme massive et sombre. Les supposés bergers avaient enflammé un mélange de sulfure, de romarin et de bois de feu dans l’une des nombreuses écuries pour que la fumée purifie la charpente. Des tas de foin et de paille brûlaient également sur les pelouses magnifiquement entretenues, et l’on obligeait de malheureux moutons déjà bien fatigués à les traverser en courant : être mouton pendant une période de festival n’est pas un état très enviable. Les pauvres bêtes avaient été sur leurs pattes toute la journée et devaient encore subir cette avanie, observées par des convives blasés que des esclaves aspergeaient d’eau parfumée tandis qu’ils sirotaient des bols de lait. Tout en trempant les lèvres dans leur lait, bien des hommes guettaient les amphores de vin du coin de l’œil, alors que les femmes agitaient leurs riches péplums pour les empêcher de s’imprégner de fumée lustrale.
On m’avait sommé d’attendre sous une colonnade éloignée, et ce n’était pas dans l’intention de me protéger des étincelles. Petit à petit, les invités commencèrent à s’installer dans la topiaire où le festin allait être servi. Ce fut le moment choisi par Annæus pour foncer vers moi. Il paraissait de méchante humeur. Je produis souvent cet effet-là sur les gens.
— De quoi s’agit-il ? demanda-t-il d’un ton rogue.
— Je m’appelle Didius Falco. Je suis un envoyé de Rome.
— Tu es soi-disant apparenté à Camillus ?
— En quelque sorte.
Confronté à la morgue de ces arrogants provinciaux, je n’avais aucun scrupule à me doter d’une patine respectable grâce au prestige de la famille de ma compagne. À Rome, je me serais montré beaucoup plus circonspect.
— En réalité, je ne le connais pas, trancha Annæus. Il n’a jamais mis les pieds en Bétique. Nous avons rencontré son fils, bien sûr. Il s’était lié avec mes trois garçons.
La façon dont il mentionna Ælianus ne laissait rien augurer de bon. À moins que ces manières brusques ne lui fussent habituelles. Néanmoins, je ne pus m’empêcher d’ajouter que j’espérais que le frère d’Helena s’était bien conduit – tout en souhaitant secrètement le contraire. Si seulement je pouvais apprendre quelque chose qu’il me serait possible d’utiliser contre lui plus tard ! Mais Annæus Maximus se contenta de grommeler :
— Il y a aussi une fille, à ce qu’on m’a
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