Crépuscule à Cordoue
non ?
— Ça semble confirmer qu’on pense en haut lieu que son père exerce une mauvaise influence en Bétique.
— D’accord, Marcus. Mais comme Attractus est resté à Rome, tu vas devoir te forger une idée sur son fils. As-tu apporté tes lances de chasse ?
— Par Jupiter, certainement pas ! (J’avais toutefois apporté un sabre pour me défendre.) Si on m’offrait l’occasion de poursuivre des loups dans un endroit désert, en compagnie de mon vieil ami Petronius Longus, je n’hésiterais pas un seul instant. Ce n’est pas le cas. Je suis prêt à parier que le nouveau questeur a choisi la formule des riches imbéciles. Et s’il y a une chose que je déteste par-dessus tout, c’est bien d’aller camper une semaine en forêt avec un groupe de braillards débiles qui ne trouvent rien de plus drôle que de planter des javelots dans des bêtes qu’une trentaine d’esclaves aidés d’une meute de chiens excités ont réussi à prendre dans des filets ! m’exclamai-je sans reprendre mon souffle.
— Et tout ça, sans la présence d’une seule femme, compatit Helena.
Je feignis de n’avoir pas entendu sa plaisanterie douteuse et ajoutai :
— Trop de vin, trop de bruit, de la viande graisseuse mal cuite et servie à peine tiède, devoir écouter à longueur de journée des vantardises et des plaisanteries douteuses…
— Oui, quelle horreur. Toi, si raffiné, n’ayant qu’un seul rêve : enfiler une tunique propre et rester assis à l’ombre d’un buisson épineux toute la journée pour lire des poèmes épiques !
— Oui, c’est bien moi, acquiesçai-je sans rire. Mais à défaut de buisson épineux, je me contenterai d’un des oliviers de ton père.
— Avec Virgile et un fromage de chèvre ?
— Eh bien, étant donné l’endroit où nous nous trouvons, je ferais peut-être mieux de choisir Lucain. C’est un poète cordouan. Et j’aurais également besoin de ta charmante tête appuyée sur mon genou.
Je fus enchanté de la voir sourire aussi franchement. Quand j’étais allé la rejoindre au forum, je l’avais trouvée tendue. Ce mélange de badinage et de cajolerie avait réussi à adoucir ses pensées.
Nous vîmes passer une procession accompagnée d’un mouton à l’air inquiet et d’un veau sautillant à qui l’on avait dû cacher qu’il allait être la vedette du prochain sacrifice. En s’éloignant, ils dévoilèrent une silhouette qui me parut tout de suite familière. Celle d’un grand bourgeois de la cité : Annæus Maximus, l’un des deux plus gros producteurs d’huile d’olive, qui assistait au dîner sur le Palatin.
— Le digne homme que tu vois là-bas est sur ma liste de suspects, informai-je Helena. Je crois que je devrais aller le saluer…
Je tentai de la persuader de m’attendre dans un petit restaurant tout proche. Elle garda un silence éloquent. Je compris que deux choix s’ouvraient à moi : la laisser seule au risque de la voir s’éloigner de moi pour toujours, ou bien lui proposer de m’accompagner.
Je commençai par employer ma vieille méthode qui avait parfois fonctionné. Je pris son visage entre mes mains et la fixai droit dans les yeux avec l’expression de l’adoration la plus absolue.
— Tu perds ton temps, commenta la belle sans élever la voix.
— Oooh ! soupirai-je. Qu’est-ce qui ne va pas, ma chérie ?
— Je me sens seule, voilà tout.
Elle aurait pourtant dû comprendre que le moment ne se prêtait pas particulièrement aux épanchements.
— Oui, je comprends, compatis-je.
— Oh ! vraiment ? s’étonna-t-elle, avec le même air préoccupé qu’elle arborait quand j’étais venu la chercher au forum.
— Oui, je crois. Tu vas avoir un bébé et je ne peux pas me mettre à ta place, c’est évident… Mais tu devrais penser que j’ai des préoccupations moi aussi. Je n’arrête pas de penser à toutes les responsabilités qui vont m’incomber après cette naissance…
— Oh ! tu sauras te débrouiller, comme d’habitude. Et tu ne m’auras plus dans les jambes.
Je me forçai à sourire.
— J’ai besoin de toi et tu le sais. Que dirais-tu de venir t’asseoir près de moi au théâtre ?
Je lui tendis la main, qu’elle agrippa, et nous nous hâtâmes tous les deux.
Je déteste les festivals. Je déteste le bruit, la nourriture immangeable qu’on vend à tous les coins de rue, les queues interminables aux latrines publiques – quand on a la chance
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