Crépuscule à Cordoue
dit… Une fille qui se trouve dans une fâcheuse position.
Il n’existe pas de frontières pour les commérages qui voyagent à la vitesse du vent.
Il m’observa plus attentivement :
— C’est toi, l’homme responsable ?
Je croisai les bras d’un air décidé. Depuis le matin, j’étais resté emballé dans ma toge. Au sein de la présente assemblée, j’étais le seul à être habillé d’une manière aussi formelle ; la vie en province offre certains avantages vestimentaires. Je ne me faisais pas l’effet d’être plus civilisé pour autant, bien au contraire : j’avais trop chaud et je me sentais légèrement miteux. Ma toge portait une tache indélébile et plusieurs trous de mites. Ceci expliquant cela.
Annæus m’accordait autant de considération qu’à un quelconque démarcheur ayant mal choisi son moment pour venir l’importuner. Toujours aussi peu aimable, il finit par s’exclamer :
— Bon ! Dis-moi vite ce que tu as à me dire !
— Je voudrais d’abord te rappeler que nous nous sommes déjà rencontrés, précisai-je, en feignant de m’intéresser au vol des chauves-souris qui paraissaient danser un ballet compliqué dans la lumière des torches.
En réalité, je l’observais attentivement. Et je suis certain qu’il en était parfaitement conscient. L’homme semblait intelligent. En tout cas, il aurait dû l’être : les Annæi n’étaient pas des campagnards ordinaires.
— Ah, bon ? parut-il s’étonner.
— Eu égard à ton rang et à ta réputation, je vais aller droit au but. Nous nous sommes récemment rencontrés à Rome au cours d’un souper organisé par la Société des Producteurs d’Huile d’Olive de Bétique. Une association dont les membres, dans leur grande majorité, ne possèdent pas une seule olive et n’ont jamais visité cette province. Et pourtant, il semble bien que cette dernière réunion ait été organisée pour parler du commerce de l’huile d’olive d’une manière qui pourrait prêter à scandale.
— C’est ta suggestion qui est scandaleuse ! s’étouffa-t-il.
— Disons plutôt qu’elle est réaliste. Il existe divers cartels dans toutes les provinces, mais Rome ne peut tolérer le trucage du prix de l’huile d’olive. Tu imagines les conséquences désastreuses que ça aurait sur l’économie de l’Empire.
— Oui, ce serait désastreux, acquiesça-t-il. Et ça ne se produira pas.
— Tu es une personnalité respectée, Annæus. Ta famille compte Sénèque et le poète Lucain parmi ses membres : deux hommes illustres à qui Néron a demandé de se suicider parce qu’il les accusait de comploter. Est-ce que ce qui est arrivé à tes parents t’a poussé à haïr Rome ?
— Rome ne se résume pas à Néron, rétorqua-t-il.
— Tu pourrais faire partie du Sénat. Ta situation financière te le permettrait.
— Je n’ai pas envie de m’installer dans la capitale.
— Certains pourraient y voir l’accomplissement d’un devoir civique.
— Personne dans ma famille ne s’est jamais refusé à accomplir son devoir. Mais nous sommes des Cordouans, et je préfère vivre plus modestement chez moi en me consacrant à mes propres affaires.
Si Sénèque, le tuteur de Néron, était réputé pour son stoïcisme et son esprit, il n’avait pas légué ses qualités à son descendant qui devenait de plus en plus pompeux :
— Les producteurs d’huile d’olive bétiques ont toujours été honnêtes. Suggérer le contraire est ignominieux.
Je laissai échapper un petit rire devant la menace voilée.
— Si, comme il l’a été suggéré, il existe bien un complot, je suis ici pour le découvrir et dénoncer les responsables. Je suppose que je peux compter sur ton aide pleine et entière, en tant que magistrat et négociant honnête ?
— Cela va sans dire, répondit-il, en me signifiant clairement que l’entretien était terminé et qu’il allait rejoindre ses invités.
— Oh ! j’ai encore une question : il y avait une danseuse, lors de ce souper à Rome. Est-ce que tu la connaîtrais, par hasard ?
— Absolument pas.
Il n’avait cependant pas pu dissimuler que ma question le surprenait.
— Alors, tant mieux pour toi, commentai-je sèchement. Car elle est actuellement recherchée pour meurtre. Et à ce propos, pourquoi as-tu quitté Rome si brusquement ?
— Obligations familiales, assura-t-il avec un haussement d’épaules.
Je décidai d’abandonner le terrain. Si
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