Crépuscule à Cordoue
sûrement sur la taille de ses seins et chercherait à savoir si elle lui laisserait assez de liberté pour pratiquer son sport et aller à la chasse.
Et en évoquant la chasse, je me demandai s’il s’agissait en réalité de Quinctius.
— Le jeune que tu as vu vomir sur les marches, poursuivit Helena, devait être le frère de Claudia.
— Le garçon qui est allé faire un petit tour à Rome ?
— Il n’a pas réapparu de la matinée. Il est resté couché avec un violent mal à la tête.
— Si le beau gosse doit épouser Claudia, probablement que son frère a des visées sur Ælia, dis-je, emporté par mon romantisme naturel.
— Tu plaisantes ! Ælia n’en ferait qu’une bouchée.
Helena Justina paraissait avoir apprécié les deux filles, mais elle avait visiblement un faible pour Ælia Annæa. Cette visite l’avait ragaillardie, effaçant la morosité de la veille.
Avant de quitter Rome, la sage-femme très renommée de sa mère m’avait conseillé de l’aider à garder l’esprit occupé au cours des dernières semaines de sa grossesse. Pourtant, si on lui avait posé la question, elle aurait certainement désapprouvé cette escapade en Bétique.
— Alors quel est ton verdict, ma chérie ? demandai-je. Les jeunes ont simplement trop d’argent de poche et ne sont pas suffisamment contrôlés par leurs parents, ou ils trament quelque chose ?
— Je l’ignore encore, mais je compte bien le découvrir.
Je m’étirai paresseusement.
— Maintenant, tu devrais penser à te détendre. Et pour ça, rien de tel qu’un bon bain, crois-moi. Je guetterai à la porte pour t’éviter une visite impromptue.
Elle me répondit, en se tapotant le ventre, que si elle prenait autant de bains que je le lui suggérais, elle finirait par accoucher d’un poisson.
— Tu ne m’as toujours pas raconté à quoi ressemblait Claudia, insistai-je.
— C’est vrai qu’elle a un trop grand nez, admit Helena. En outre, elle a pris la mauvaise habitude de rejeter la tête en arrière pour regarder au-dessus. Si bien qu’on ne voit plus que ça. Il va lui falloir un grand mari. Et à ce propos, il faut que je te dise quelque chose, Marcus : à la façon dont Optatus a insisté pour me conduire à la place de Marmarides, j’ai cru deviner qu’il en pinçait pour Claudia. Dès notre arrivée, il s’est éclipsé pour parler boutique avec le vieil homme, mais je suis certaine qu’il n’est venu que pour avoir l’occasion de saluer Claudia.
L’implication de ses paroles me fit hausser les sourcils :
— D’après ce que j’ai déjà appris de l’étiquette bétique, Optatus prend des risques.
Et nous dûmes interrompre cette conversation, parce que le fermier en personne entrait dans le jardin. Il venait de voir le cheval décrépit que j’avais ramené à la maison et il se tenait les côtes en riant. Quand il put enfin parler, il dit qu’il espérait que je ne l’avais pas payé très cher. Je m’empressai de le rassurer, en lui précisant qu’il s’agissait d’un cadeau des Annæi. Marius Optatus répliqua gravement que cette noble famille avait toujours été célèbre pour sa générosité.
Le fermier m’était d’abord apparu sous les traits d’un personnage sobre entièrement dédié à son métier et qui n’avait réservé aucune place dans sa vie à la frivolité. Mais depuis qu’Helena me l’avait présenté sous les traits d’un séducteur ayant jeté son dévolu sur la grosse dot de la petite-fille au grand nez d’un riche voisin, je n’écartais plus aucune possibilité.
28
Helena Justina avait invité Claudia Rufina à venir la voir, mais les bonnes manières lui interdisaient toute précipitation. Notre jeune voisine devait pourtant mourir d’envie d’inspecter notre installation… et me rencontrer. En attendant, je décidai d’aller sonder son grand-père. Maintenant que j’avais bavardé avec Annæus, je voulais m’entretenir avec son rival en affaires pendant que la première entrevue était encore fraîche dans ma mémoire. Mais Helena ayant rendu visite à la famille Rufius ce matin-là, elle me dit qu’il serait plus convenable d’attendre le lendemain. Passer l’après-midi à ne rien faire me convenait parfaitement.
— Leur maison va beaucoup te plaire, assura-t-elle en riant pour une raison qu’elle refusa de me dire.
Je partis donc sur mon cheval d’emprunt le lendemain matin. Il s’appelait Caracoleur. Un nom qui avait
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