Crépuscule à Cordoue
de leurs fermiers. Ensuite, j’eus droit à une cellule vacante dans le bâtiment réservé aux esclaves, et comme il y avait un puits tout proche, je pus même laver ma blessure et boire tout mon soûl. C’est tout de même agréable d’avoir affaire à des gens civilisés.
Le lendemain matin dès l’aube, l’intendant m’expédia sur le dos d’un canasson en bout de course en me disant que je pouvais l’emprunter indéfiniment car ils ne pouvaient plus rien en tirer. Je lui répondis que je ne manquerais pas de rapporter à l’empereur la façon si courtoise dont les Annæi s’étaient comportés à mon égard. Pour tout commentaire, il se contenta de m’adresser un sourire méprisant.
Les trois fils arrivèrent au moment où je m’éloignais. Nous nous croisâmes. Je leur trouvai la mine fatiguée. Ils me laissèrent de nouveau dans un nuage de poussière, mais ce n’était pas intentionnel comme la veille. Ce matin, ils n’étaient plus du tout en état de réfléchir. Pour autant que je le sache, la fille n’était pas encore rentrée. Les femmes ont davantage d’énergie.
Quand j’atteignis enfin le domaine des Camillus, il était baigné de soleil. Comme je m’y attendais, Helena Justina, fidèle à sa parole, était déjà partie pour la propriété de Licinius Rufius. Ce fut un Marmarides un peu maussade qui m’annonça que Marius Optatus avait décidé de l’accompagner lui-même.
Je pus donc prendre tout mon temps pour me baigner et changer de tunique. Puis je me rendis à l’office où la cuisinière me concocta le genre de petit déjeuner nourrissant que certaines vieilles femmes aiment offrir à un futur père qui a visiblement besoin de reprendre des forces. Et pendant que je mangeais de bon appétit, elle insista pour désinfecter ma blessure à l’aide d’une décoction au thym, avant d’y appliquer un onguent. Inutile de préciser que l’ingrédient principal de cet onguent était l’huile d’olive.
Helena Justina revint alors qu’elle était encore en train de me soigner. M’agrippant par le col de ma tunique, ma compagne se pencha pour inspecter les dégâts :
— Tu survivras, commenta-t-elle.
— Ma chérie, tu ne devrais pas t’inquiéter autant pour moi !
— Qui t’a fait ça ?
Je lui adressai un clin d’œil, et elle comprit le message. Nous sortîmes dans le jardin afin de nous installer commodément sur un banc placé à l’ombre d’un figuier. Là, notre conversation ne risquant pas de tomber dans des oreilles indiscrètes, je lui parlai de la fausse bergère. Helena Justina marqua le coup.
— Tu crois vraiment que cette fille empaquetée dans de la laine malodorante était ta « danseuse d’Hispalis » ?
Je ne tenais pas à lui avouer que j’en étais intimement persuadé, car elle n’aurait retenu que le fait que j’examinais les autres femmes d’un peu trop près.
— Frapper les hommes par-derrière semble une seconde nature, chez elle. Mais Anacrites et Valentinus ont été ensuite précipités contre un mur la tête la première. Bien sûr, il n’y avait aucun mur à l’endroit où je me trouvais. Mais si c’est cette Selia qui m’a lancé la pierre, elle a disparu sans rien tenter d’autre.
— Elle compte peut-être sur ses deux musiciens pour finir le travail, et ils ne se trouvaient pas avec elle.
— Alors pourquoi m’avoir jeté cette pierre ? Ça ressemble plus à une mise en garde qu’à autre chose.
— Marcus, si la pierre t’avait atteint à la tête, aurait-elle pu te tuer ?
Pour épargner la sensibilité d’Helena, j’affirmai que non, sans en être vraiment certain.
Mais une inquiétude montait en moi. Je me rappelai soudain les paroles murmurées par un Anacrites à moitié inconscient pour me mettre en garde contre une femme dangereuse. J’avais cru qu’il divaguait en voyant Helena près de son lit alors qu’il parlait de son assaillante.
Pour tenter d’alléger l’atmosphère, je racontai l’expérience que je venais de vivre avec Annæus Maximus :
— J’ai tout de même compris un certain nombre de choses. Il est clair que, politiquement, il est au creux de la vague. Socialement parlant, il est handicapé par ce qui est arrivé à Sénèque. À tort ou à raison, son nom reste taché. Sa fortune lui permettra sans doute de regagner son rang, mais il faudrait qu’il y mette plus d’ardeur. Il ne paraît pas avoir envie de briguer un poste à Rome. Être une huile en
Weitere Kostenlose Bücher