Crépuscule à Cordoue
m’accueille aimablement. Il fut rapidement clair pour moi que la vieille dame n’avait aucune idée du véritable motif de ma visite. Elle me précisa que son mari était quelque part dans la propriété et qu’elle l’avait envoyé chercher. En attendant son arrivée, elle me proposa de me faire admirer les rénovations, et comme j’essaie toujours de me montrer poli envers les vieilles dames, je me déclarai enchanté de cette proposition. J’ajoutai même que je pourrais peut-être lui voler quelques idées de décoration… Si elle avait pu voir le galetas que j’avais partagé avec Helena à Rome avant de déménager dans un appartement qui ne valait guère mieux ! C’était très probablement au-delà de sa compréhension. Je ne suis même pas sûr qu’elle réalisait que j’étais le père de l’enfant de la noble fille Camillus.
Nous finîmes par nous installer près du nouvel étang à poissons – de la même longueur que la maison –, et nous échangeâmes des tuyaux sur la façon de traiter les rosiers de Campanie, en buvant du vin chaud dans des gobelets de bronze comme des amis de longue date. J’avais admiré les cinq salles de leur balneum au système de chauffage compliqué, avec son apodyterium où l’on se déshabillait, son frigidarium, son tepidarium – la salle intermédiaire tiède –, son caldarium à la température élevée et la salle consacrée aux exercices. Les travaux n’étaient pas terminés, mais les mosaïques en noir et blanc étaient une réussite. Claudia Adorata ne m’avait pas épargné non plus la nouvelle cuisine, les salles à manger d’hiver et d’été, décorées de fresques, ni l’espace nu qui allait devenir la bibliothèque. Je manifestai naturellement ma déception de ne pas pouvoir visiter les pièces du futur premier étage, puisque l’escalier n’était pas encore installé.
Nous nous étions ensuite assis sur des chaises pliantes devant une table recouverte d’une fine nappe de lin hispanique. Le tout avait été disposé par des esclaves sur une petite terrasse pavée qui offrait une vue plongeante dans la grotte située au bout de l’étang. Elle était décorée d’une étonnante fresque de Neptune trônant au milieu de toute une cour de créatures marines.
Claudia Adorata ne fit aucune difficulté pour me préciser qu’ils avaient entrepris ces travaux gigantesques pour que leur petit-fils, promis à un brillant avenir, bénéficie d’un cadre digne de lui. À en croire ses propos, le Sénat lui gardait une place au chaud à Rome et il daignerait l’occuper en attendant de devenir consul. Je m’efforçai de paraître impressionné.
Son mari et elle avaient élevé leurs deux petits-enfants depuis qu’ils étaient devenus orphelins en bas âge. La mère était morte peu de temps après avoir mis au monde ce petit prodige du sexe masculin, et le père, lui-même seul héritier, ne lui avait survécu que trois ans. Une fièvre maligne l’avait emporté à son tour. Les deux gamins étaient alors devenus la consolation et l’espoir de leurs grands-parents – situation on ne peut plus inconfortable pour les bambins. Heureusement qu’ils avaient des monceaux d’argent pour faciliter les choses. D’un autre côté, disposer d’autant d’argent aussi jeune pouvait rendre la situation encore plus dangereuse.
Lorsque Licinius Rufius vint enfin nous rejoindre, le crépuscule s’annonçait. Il avançait d’un pas décidé, tout en se lavant les mains dans un grand bol d’argent que tenait un esclave qui trottinait à côté de lui. Il était trapu sans être trop empâté, possédait un visage lourd couronné de cheveux emmêlés. D’une génération antérieure à celle d’Annæus Maximus, il n’en restait pas moins solide sur ses jambes et plein de dynamisme. Il me donna une poignée de main particulièrement ferme avant de s’installer sur l’une des chaises pliantes dont les pattes gémirent sous son poids. Il se mit à picorer des olives noires, mais n’accepta pas de vin. Sans doute éprouvait-il davantage de soupçons que sa femme sur le but de ma visite. Quant à Claudia Adorata, elle s’éclipsa discrètement en nous gratifiant d’un sourire.
Pour me donner une contenance, je pris aussi quelques olives. Elles étaient délicieuses, comparables aux meilleurs spécimens venus de Grèce. Nous nous observâmes un instant en silence. Licinius avait devant lui un citoyen romain en tunique verte, dont la
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