Crépuscule à Cordoue
Bétique semble lui suffire amplement. Mais il n’en reste pas moins que l’époque où les Annæi étaient des héros est révolue.
— Et la jeune génération ? s’enquit Helena.
— Ils n’ont l’air de penser qu’à s’amuser et ils le font avec panache.
Je lui décrivis ce que j’avais vu, sans oublier de mentionner la fille couverte de bijoux.
— Ah ! pour ce qui est de la fille, sourit Helena, je peux t’en parler et te dire où elle a couché hier.
— Un scandale ? demandai-je en dressant l’oreille.
— Absolument rien de la sorte ! Elle s’appelle Ælia Annæa, et la nuit dernière, elle est restée chez Licinius Rufius. En dépit de la soi-disant rivalité entre les deux familles, elle est très amie avec Claudia Rufina.
— Alors je suppose que tu les as rencontrées toutes les deux ?
— Oui. Claudia Rufina est assez jeune et d’un naturel très aimable. Ælia Annæa montre davantage de tempérament. Elle adore contrarier son père, par exemple en allant dormir chez Licinius Rufius.
— Et qu’en pense le grand-père ?
— Je ne l’ai pas rencontré. En tout cas, Ælia me plaît beaucoup.
— Tu as toujours aimé les rebelles ! Et sa copine ?
— Beaucoup plus sérieuse. Et je crois qu’elle rêve de gloire. À mon avis, il ne lui déplairait pas d’avoir sa statue devant un édifice public !
— Laisse-moi deviner : si Ælia est jolie…
— Ah ! tu trouves ? Mais c’est pas du tout ton type ! trancha Helena Justina.
— Laisse-moi décider seul ! la taquinai-je. Quoi qu’il en soit, un jeune dieu est passé la chercher, hier soir, et je parierais qu’ils sont fiancés. Je parierais aussi que la petite-fille de Rufius est plutôt moche.
— Tu es tellement prévisible ! éclata Helena Justina, les yeux brillants de courroux. Comment peux-tu te mêler de juger la nature humaine quand tu es si plein de préjugés ? !
— Je me débrouille plutôt bien. La nature humaine, précisément, range les gens en certaines catégories. Peu nombreuses.
— Tu as tout faux ! assura Helena Justina froidement. Claudia se montre simplement un peu trop sérieuse. Toutes les trois, nous avons tenu une conversation parfaitement civilisée en buvant une tisane rafraîchissante. Et tu as également tort en ce qui concerne Ælia Annæa.
— En quoi ai-je tort ?
— Elle a l’esprit tout à fait léger. Personne ne lui destine un futur mari. Surtout pas un trop beau à qui elle ne pourrait pas se fier. S’il est exact qu’elle portait trop de bijoux, elle n’avait pas de bague de fiançailles. Et directe comme elle sait l’être, elle n’aurait pas manqué d’en réclamer une si la situation s’y prêtait.
— Peut-être que l’arrangement n’est pas encore officiel ?
— Fais-moi confiance, elle n’a aucun projet pareil en vue ! En revanche, Claudia Rufina arborait un énorme bracelet de grenats qu’elle ne peut pas avoir choisi elle-même. Elle m’a dit qu’elle collectionnait les miniatures en ivoire. Cet horrible bracelet ressemble au bijou que choisirait chez un orfèvre un homme que les circonstances obligent à offrir un cadeau conséquent. Imagine un peu ! si elle épouse le donateur, elle devra porter cette monstruosité toute sa vie. Pauvre fille !
Comment ne pas pouffer de rire ? Helena Justina, très simplement vêtue de blanc, ne portait aucun ornement. Elle trouvait les parures très inconfortables pendant sa grossesse. Toutefois, elle ne se séparait jamais d’un anneau d’argent que je lui avais offert et qui portait un message gravé à l’intérieur. Il symbolisait pour moi l’époque où, pour garantir la réussite d’une mission, j’avais souffert comme esclave au fond d’une mine d’argent en Bretagne [6] . J’osais espérer que, si elle le comparait avec l’encombrant présent reçu par Claudia Rufina, c’était en ma faveur.
Je fus obligé de m’éclaircir la gorge avant de parler :
— Le nouveau fermier de ton père semble penser que Claudia est promise au nouveau questeur…
— Justement, la conversation a tourné autour de « Tiberius », qui se trouvait au gymnase. J’ai l’impression qu’il s’agit de l’homme que tu as aperçu dans la voiture. S’il est assez beau pour t’irriter, normal qu’il passe son temps à faire du sport.
L’homme que j’avais aperçu avait un cou épais et probablement un cerveau en rapport. Quand il choisirait une femme, il se baserait
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