Crépuscule à Cordoue
négociateur Norbanus, qui organisait le transport de l’huile sur l’océan. Et qui sait si je n’obtiendrais pas là-bas des renseignements sur la mystérieuse Selia ? Il arrive que le hasard fasse bien les choses. Seulement, la fausse bergère avait sans doute été assez maligne pour ne pas donner son véritable nom.
Aller à Hispalis me posait toutefois un problème. J’avais calculé sur ma carte que cette ville se trouvait à au moins quatre-vingt-dix milles romains de Cordoue, à vol d’oiseau. Or le Guadalquivir m’apparaissait plein de méandres, et à mon avis, le redescendre en bateau demandait entre une et deux semaines. Tout cela pour interroger des gens qui ne m’apprendraient sans doute rien d’intéressant. Je ne pouvais pas me permettre de perdre autant de temps. En observant Helena Justina, je m’inquiétais chaque jour davantage à son sujet.
Le but de Cyzacus et de Gorax devait précisément être de m’égarer, et ils avaient sans doute de bonnes raisons pour cela. Ces deux-là se réjouissaient sans doute à l’idée de prendre un agent gouvernemental au piège en le faisant embarquer sur un chaland qui allait mettre une éternité à gagner Hispalis. Ils pensaient ainsi protéger leur père. Ils ne pouvaient pas savoir que si je me rendais effectivement dans cette cité, ce serait surtout avec l’intention de retrouver la trace de la danseuse.
Cyzacus l’Ancien leur avait assurément parlé de son souper dans le vieux palais, mais j’ignorais s’il avait mentionné les attaques subies par Anacrites et Valentinus. Cela m’aurait pourtant permis de savoir jusqu’à quel point il se fiait à ces deux-là. En tout cas, si la période passée à Rome n’avait pas apporté la célébrité au poète, elle l’avait transformé en Bétique nationaliste.
J’avais à ce jour interrogé deux suspects : Annæus Maximus et Licinius Rufius. Il y en avait deux autres à Hispalis. Et encore deux qui pouvaient fort bien se trouver impliqués dans ces sombres manigances, même s’ils avaient manqué le dîner au palatin : Rufius Constans et le nouveau questeur de cette province. Ils se trouvaient tous les deux à Rome au moment opportun. Optatus prétendait que Quinctius Quadratus exerçait une mauvaise influence sur Constans, mais vu son ressentiment envers cette famille, il était difficile de le croire impartial. J’attendais avec impatience de rencontrer le jeune homme afin de me forger ma propre opinion. Si le secrétaire du père m’avait confirmé que les jeunes gens avaient passé la soirée au théâtre, le soir de l’attaque, il ne m’avait fourni aucun détail. Sur le moment, il ne m’avait pas paru essentiel de vérifier leur emploi du temps. J’en venais à penser autrement.
Et j’allais satisfaire rapidement ma curiosité. Optatus m’avait prévenu que les trois Annæi organisaient leur petite fête dans deux jours. Il s’était naturellement débrouillé à nous faire inviter. Je n’avais pas jugé bon de lui demander par quel moyen. Le jeune Rufius ne souhaitant pas offenser son grand-père en fraternisant ouvertement avec son principal rival, il allait prétendre qu’il nous rendait visite. Marmarides nous emmènerait tous les trois et, surtout, resterait sobre pour nous ramener. Helena Justina se rappelait le souper de Rome, au cours duquel j’avais tellement bu que je n’avais pas retrouvé mon domicile. Elle nous regarda partir sans chercher à dissimuler sa désapprobation. Claudia Rufina devait éprouver les mêmes sentiments, car elle était restée auprès de ses grands-parents. Elle aimait cependant beaucoup son frère et avait promis de ne pas vendre la mèche.
J’avais fait l’effort d’enfiler un vêtement sans taches. Optatus resplendissait dans une tunique teinte en rouge avec du cinabre et dont l’encolure et les emmanchures étaient classiquement bordées de passementerie noire. Il avait également enfilé toute une série de bagues anciennes et il fleurait bon la balsamine. Il avait tout à fait l’air d’un homme plein d’intentions impures. Mais même habillé de la sorte, il était éclipsé par le jeune garçon.
Il s’agissait de ma première vraie rencontre avec Rufius Constans. Nous étions tous les trois en tunique. Pas question de cérémonie dans les provinces. La sienne était de la meilleure qualité. Et même si Optatus portait ce qu’il avait de mieux, Constans pouvait nous regarder de haut. Pourtant, ce jeune
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