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Crépuscule à Cordoue

Crépuscule à Cordoue

Titel: Crépuscule à Cordoue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lindsey Davis
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milieu des tessons de poterie, avec de l’huile qui coulait partout. Pour ne pas glisser, Gorax s’agrippa à moi.
    — Oooh ! Vas-y doucement ! m’exclamai-je.
    Mais la douceur n’avait jamais dû entrer dans ses mœurs. J’eus un aperçu très net de son œsophage quand il laissa échapper un cri sauvage. Même ses amygdales étaient terrifiantes. Je crus un instant qu’il projetait de m’arracher le nez d’un méchant coup de dent. Mais à cet instant précis, une voix étudiée perça le vacarme ambiant :
    — Ça suffit, Gorax. Tu fais fuir le poisson !
    À mon grand soulagement, le gladiateur se calma instantanément. Après avoir ramassé l’oiseau mort, il alla s’asseoir sur la rambarde et laissa couler librement ses larmes.
    — Merci, dis-je posément au nouveau venu, en me penchant par-dessus bord pour offrir la main à un homme mince installé dans une barque.
    Attiré par le tumulte, il s’était vivement approché de nous à la rame.
    — Je m’appelle Falco.
    — Cyzacus, dit-il.
    — Mais tu n’es pas l’homme qu’on m’a présenté sous ce nom à Rome.
    — Ça devait être mon père.
    — Par Apollon ! Alors tu es le poète ?
    — C’est exact ! répondit-il sèchement.
    — Excuse-moi… mais je croyais que tu avais quitté la maison.
    — C’est bien ce que j’ai fait, dit-il en allant accoster.
    — Tu sais manier l’aviron, pour un intellectuel !
    Pendant qu’il contournait le chaland, j’avais pris Nux sous le bras pour regagner la berge. Après qu’il eut attaché sa barque, je tendis la main à Cyzacus pour l’aider à sauter sur la jetée à son tour.
    Je remarquai tout de suite le stylet qu’il s’était coincé derrière l’oreille, au milieu de touffes de cheveux en bataille. Entre deux prises, il écrivait sans doute un long poème en plusieurs volumes à la gloire de Rome… Ou il imitait peut-être mon oncle Fabius, qui notait la description de chaque poisson attrapé, sa taille, l’hameçon et l’appât utilisé, sans oublier la date.
    Il ressemblait vraiment à un poète, saturnien et vague, n’ayant probablement aucun sens de l’argent et ne sachant pas se débrouiller avec les femmes. Il avait une quarantaine d’années, tout comme son frère adoptif. Il ne paraissait exister aucun ressentiment entre eux, car le poète n’eut rien de plus pressé que d’aller consoler Gorax. Le mastodonte finit par jeter la bestiole morte dans le fleuve avec un haussement d’épaules, et concentra ses efforts sur celle qui vivait encore, tentant de calmer ses frayeurs. Il semblait jouir d’émotions simples et posséder une faculté de concentration limitée. C’était suffisant dans l’arène, et aussi pour traiter avec les clients qui souhaitaient réserver un espace sur son chaland.
    — Il s’occupe des chargements, précisa Cyzacus qui avait dû suivre le cheminement de ma pensée. Je tiens les livres de comptes.
    — Évidemment. Un poète sait écrire !
    — Tu n’es pas obligé de faire de l’esprit.
    — Excuse-moi. Tu es allé à Rome ?
    — Et j’en suis revenu, répondit-il sèchement. Je n’y ai pas trouvé de mécène. Personne n’est venu m’écouter lire mes œuvres en public, et mes manuscrits ne se sont pas vendus.
    Il s’exprimait avec beaucoup d’amertume. Apparemment, il ne lui était jamais venu à l’esprit que vouloir devenir célèbre en écrivant pouvait ne pas suffire. Il était peut-être tout simplement un mauvais poète.
    Je refusais toutefois d’être celui qui allait attirer son attention sur cette possibilité. Surtout pas quand se tenait près de lui le colosse Gorax, qui paraissait très fier de son associé intellectuel. Avoir pour frère un ancien gladiateur poussait le commun des mortels au respect, ils avaient tous les deux la même taille, mais l’un occupait trois fois plus d’espace que l’autre. Ils étaient on ne peut plus différents, mais il n’en était pas moins évident qu’il s’était tissé entre eux des liens bien plus forts qu’entre nombre de vrais frères qui grandissent en se chamaillant.
    — Ne t’inquiète donc pas, déclarai-je. Le monde a déjà trop de tragédies et presque assez de satires. Et au moins, tandis que tu rêves dans ta barque sur le Guadalquivir, personne ne vient interrompre ta pensée créatrice.
    Le poète raté eut l’air de comprendre que je me payais sa tête, si bien que je me hâtai d’ajouter :
    — Quand le drame a éclaté,

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