Crucifère
chemin, un nouvel éclair fendit la nuit violette, donnant aux arbres des allures de spectres. Çà et là, dans la nuit, des yeux perçaient l’obscurité, apparaissant et disparaissant au gré de battements de paupières. Les animaux, oublieux du rôle que la nature leur avait attribué, avaient cessé de s’entre-pourchasser. Réfugiés dans les branches basses d’un jujubier, sous une racine ou une fougère, ils étaient blottis dans une même crainte, les proies tremblant auprès des prédateurs, les prédateurs auprès des proies.
— Par ici ! s’écria Cassiopée. Je vois de la lumière !
Elle agita le bras en direction d’une tache jaunâtre qui pointait au loin, tel un œil de panthère.
Emmanuel se releva pesamment de la mare où il était tombé, renonça à s’essuyer le visage, et s’avança vers Cassiopée, aussi mouillé qu’un poisson fraîchement péché. Il éternua, une fois, deux fois, et s’approcha de sa belle.
— Tu as les yeux brillants, tu dois avoir de la fièvre…, lui dit-elle sur un ton compatissant. Comment te sens-tu ?
Elle lui prit la main, et y déposa un baiser.
— Auprès de toi ? Forcément en pleine forme, pourquoi ?
Elle ne put s’empêcher de sourire, tandis que dans la jungle se dispersaient les échos de l’orage. Bientôt, il n’y eut plus que la pluie, et par-dessous un mystérieux silence, plus profond que la nuit. Et c’est là, dans la boue et l’obscurité, au milieu des animaux, qu’elle s’offrit à lui.
Ils se dévêtirent lentement, à cause de leurs habits gonflés de pluie. C’était une pluie d’une chaleur intense, presque étouffante. En touchant le sol, elle se muait en nappes de brouillard, dans lesquelles ils plongèrent. Cassiopée souriait, invitant sur son corps nu le corps nu d’Emmanuel, ouvrant les jambes pour l’accueillir en elle.
Elle souriait, heureuse comme jamais. L’homme qui venait en elle, et dont elle sentait le rude poids sur sa poitrine, cet homme qui lui embrassait les seins, la gorge et le visage à pleine bouche, cet homme était le sien – celui pour qui elle était née ; celui pour qui elle avait fait ce long voyage. Ce n’était pas sa tante qu’elle était venue chercher. Ni même les Enfers, ni même son père. C’était…
— Emmanuel !
Le plaisir la saisit de façon si brutale qu’elle cessa de penser, s’abandonnant à son amant et à la terre contre laquelle il la prenait. Ils firent l’amour lentement, passionnément, savourant chaque instant de leur tendre complicité comme si c’était la dernière fois qu’ils s’unissaient.
Puis Emmanuel plaqua ses deux mains dans la boue et s’abattit sur Cassiopée, tel un ange endormi. Elle laissa le plaisir l’envahir, passa la main dans les cheveux de son amant, tout en l’embrassant fougueusement. Elle n’avait nulle envie de bouger, chair et boue, brume et eau. Elle avait l’impression d’avoir enfin trouvé son foyer, sa raison d’être.
— Je pourrais mourir ici, en cet instant, et tout serait parfait, dit-elle à mi-voix, craignant et espérant à la fois qu’Emmanuel l’entende.
Il avala une grande goulée d’air et répondit :
— D’une certaine façon, c’est un peu le cas…
— Je suis morte entre tes bras, entre tes bras je renais.
Il lui sourit à son tour, posa un genou en terre et se releva. Puis, lui tendant la main, il l’aida à se relever et la serra contre lui, du plus fort qu’il put. La tête de Cassiopée lui arrivait au niveau de la poitrine, et il sentait la douce odeur de ses cheveux qu’il ne se lassait pas de caresser. Il eut alors une nouvelle érection, et ils refirent l’amour, dans cet endroit dont ils n’étaient pas sûrs qu’il existe, à ce moment de la journée qui n’était ni le jour ni la nuit.
La pluie cessa brusquement, comme elle était arrivée. Parfois, des paquets d’eau dégringolaient des arbres. Le soleil se remit à briller. Cependant, dans la moiteur où ils marchaient, tout n’était que pénombre – des masses et des masses de branches et de feuilles gardaient le sol dans une obscurité quasi totale. La brume s’épaissit, s’opacifia, si bien qu’ils avançaient à travers des murailles intangibles, comme si un fantôme de jungle avait pris possession de la forêt qu’ils avaient traversée pour aller aux marais.
Les bruits revinrent, et avec eux les mouvements dans la brume. Craquements secs, clapotis de l’eau, hululements d’un
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