Crucifère
deviner ?…
— C’est grâce aux termes que le Maître des Clés et des Portes a employés. Le fait qu’il ait dit : « Il faut passer. » C’était un indice. Comme aux cartes, j’ai « passé mon tour ». Enfin, quand j’ai vu les flammes de la troisième porte, j’ai tout compris.
— Explique-moi.
— Où nous rendons-nous ?
— En Enfer.
— Oui. Or, en Enfer, il y a des flammes, n’est-ce pas ?
— Oui. Des flammes, et des démons munis de piques qu’ils plantent dans le derrière des damnés…
— Je me suis dit, en voyant ces flammes, qu’elles nous montraient la voie.
— Et les deux autres portes ?
— Celle du Vide, à mon avis, ne mène à rien… Tu tombes éternellement.
— Mais alors ? Le Maître des Clés et des Portes aurait cherché à te tromper ?
— En ce qui concerne l’au-delà, je n’écoute que mon cœur. Et non la solution de tel ou tel. Surtout, j’ai eu la chance d’étudier à Saint-Pierre de Beauvais l’œuvre de Bède le Vénérable, où il était écrit : « Le feu que tu n’as pas allumé ne te brûlera pas. » Apparemment, le portier la connaissait aussi.
— Je crois que j’aurais sauté, avoua Simon. Pour prouver ma valeur.
— Et moooi aussi, ajouta Rufinus. En tout cas, autrefooois.
— Hommes de trop de foi, ironisa Cassiopée. Moi, je demande à voir.
Sur ce, ils s’en allèrent vers ce qu’ils supposaient être l’Orient.
Dans cet Enfer étrange, où il n’y avait ni feu ni démons, ils avançaient sur un terrain plat, apparemment infini. À la lueur de leurs torches – réduites par l’obscurité à l’état de lumignons –, ils distinguaient des plaques d’herbe jaunie, desséchée par le froid.
— On s’attendait à une fournaise, fit remarquer Simon, et on se retrouve en plein hiver.
— De l’autre côté du monde. Là où le soleil ne brille pas.
— Cherchons Morgennes…
Simon regarda tout autour de lui, tentant de percer l’ombre. Mais il ne voyait rien, que des pans de nuit noire, qui s’étendaient à l’infini. Souvent, ils bivouaquaient – moins pour se reposer que pour allumer un feu. Comme si ce qui importait était de se nourrir les yeux. Étant repus d’obscurité, ils avaient soif de lumière.
Quand le brasier crépitait, lançant ses courtes flammes à l’assaut des ténèbres, ils lui donnaient à manger tout ce qui leur tombait sous la main : des brindilles ramassées au cours de leur périple, quelques brins d’herbe friables, une plante jaunie. De petits arbres secs, des buissons d’épineux poussaient au hasard de la steppe. Ils s’arrêtaient pour les ramasser, les arrachant à la terre avec leurs racines.
— J’aimerais revoir le ciel, souffla Simon au cours d’une de ces haltes.
— Alors patiente, répondit Cassiopée. Car, comme disent les Touaregs, « au bout de la patience, il y a le ciel ».
— Mais je ne fais que ça…, dit-il en poussant un soupir d’exaspération.
Il jeta un caillou dans le feu, minuscule pierre blanche, aussitôt recouverte de cendres. Au-dessus d’eux, l’oiselle poussa un cri, et Cassiopée leva les yeux.
— Comment sais-tu où elle est ? lui demanda Simon.
— Je ne le sais pas.
— Ça ne t’inquiète pas ?
— Parfois, si.
Elle n’avait pas l’air inquiète pour autant.
— Tu ne l’empêches pas de voler ?
— C’est un oiseau, elle vole. C’est normal.
Elle ramena sa couverture sur ses épaules, et tenta de trouver le sommeil. Mais des pensées l’obsédaient. « Comme ce lieu ressemble à ma vie », songeait-elle. « Une nuit de toute une vie. Et peu importe si le jour se lève, et puis le jour d’après un autre jour encore, c’est toujours la nuit, la même nuit éternellement recommencée. Demain n’existe pas plus qu’hier. C’est une nuit d’avant le Premier Jour, d’avant la création du monde, où seul règne un aujourd’hui informe, sans étoiles ni lune – car Dieu ne les a pas encore créées. C’est une nuit tempête, où lumière et ténèbres sont étroitement mêlées. Une nuit vorace, où notre seul espoir est d’être digérés. Une nuit toile d’araignée, dont nous sommes les proies, et le temps l’araignée… »
Elle s’endormit sans même s’en apercevoir, tandis que Simon ne quittait pas le feu des yeux.
Un soir – ou un jour –, ils arrivèrent au pied d’un monticule constitué de dizaines de milliers de pierres. Comme ils n’en
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