Crucifère
retentirent à l’intérieur de la forteresse. En attendant l’arrivée du portier, Cassiopée rappela son oiselle, tandis que Simon fourrait dans son sac à dos le peu de vivres et d’eau qui restait dans leurs sacs de selle. Puis, d’une claque sur la croupe, ils chassèrent leur jument. Ils préféraient lui rendre sa liberté, plutôt que de l’attacher à côté des squelettes qui s’étalaient devant l’entrée.
Au bout d’un certain temps, un volet métallique s’entrouvrit dans le haut de la porte. Une forme sombre les dévisagea depuis une grille, puis la porte s’ouvrit en grinçant.
30.
« Par moi on va dans la cité dolente, par moi on va dans l’éternelle douleur, par moi on va parmi la gent perdue. »
(DANTE, L’Enfer.)
L’homme, ou plutôt l’être qui leur avait ouvert, était à peu près aussi grand qu’eux et puait le bouc. Il était vêtu d’une robe de bure dont le capuchon lui cachait le visage. Il émit un sifflement, qu’ils interprétèrent comme une invitation à le suivre.
Simon et Cassiopée se retrouvèrent au bas d’un étroit escalier en colimaçon, où ils ne pouvaient avancer à deux de front. La petite porte métallique se referma d’elle-même, et ils furent plongés dans une obscurité mal dissipée par la lanterne du portier. Ils montèrent en silence pendant une éternité, grimpant des marches et encore des marches, jusqu’à en avoir les pieds douloureux.
— Quel endroit fascinant, murmura Cassiopée.
Des motifs géométriques décoraient les murs à intervalles plus ou moins réguliers, représentant des lignes entrecroisées. Quant aux marches, elles portaient des inscriptions que Cassiopée avait du mal à déchiffrer. Probablement parce que le temps et le passage de nombreux autres visiteurs les avaient en partie effacées. Mais elle avait l’impression qu’il s’agissait de noms de personnes et de dates. De naissance et de mort ? Étaient-ils en train de pénétrer aux Enfers en marchant sur les tombes des chevaliers dont ils avaient aperçu les chevaux, au-dehors ?
— Où nous emmenez-vous ? demanda Simon à l’homme en robe de bure.
L’étrange portier ne lui répondit pas. Enfin, après une ascension interminable, ils s’arrêtèrent sur un palier de forme irrégulière. Dans un coin, une petite porte faiblement éclairée par une meurtrière ; dans un autre, l’escalier continuait de monter vers d’insondables ténèbres. Après avoir ouvert la petite porte, le portier les précéda dans une salle assez banale où il claudiqua plus qu’il ne marcha vers une lourde table de bois. Il y posa sa lanterne et tira vers lui une écuelle contenant ce qui ressemblait à un ragoût de viande et de légumes – mais de quelle sorte de viande et de quels légumes ? Simon et Cassiopée n’auraient su le dire.
Cassiopée en avait la chair de poule. Machinalement, sa main se porta sur son flanc gauche, à la recherche de Crucifère. La croix de bronze incrustée dans la poignée de son épée la rassurait.
— À boooire, siffla soudain le gardien en tendant un doigt vers le centre de la table.
Simon frémit en voyant la main de la créature, couverte d’écailles grisâtres, comme celle d’un lépreux. Sans rien laisser paraître de sa peur, il marcha à son tour vers la table, où trois coupes étaient posées. Il en prit une.
— Non, pas celle-là, poursuivit le portier. Celle à moitié viiide…
— Queelle hoorrible façon de paarler, chuchota Rufinus à Cassiopée. Il poourrait faire des effoorts.
— Chut ! fit Cassiopée en lui posant un doigt sur les lèvres.
Simon, lui, regardait les trois coupes. La première était pleine à ras bord, la deuxième était à moitié pleine, et la troisième était totalement vide. Celle qu’il avait prise était la coupe à moitié pleine. Ce n’était apparemment pas la bonne. Mais laquelle était-ce ?
Après avoir échangé un regard avec Cassiopée – qui se contenta de hausser ses sourcils renaissants –, Simon reposa la coupe sur la table, prit celle qui était pleine à ras bord et commença de la vider dans celle qui était vide. Quand il l’eut à moitié vidée, il l’apporta au gardien.
— Merciii, siffla ce dernier.
Il la but avidement. Quand il l’eut terminée, il la reposa sur la table et déclara :
— Parfait… Je suis le Maître des Clés et des Portes. Ceux qui veulent franchir la porte du Vide doivent se soumettre à mes épreuves. Vous
Weitere Kostenlose Bücher