Crucifère
en vrille au cœur de la nuée fuligineuse qui déjà revenait à l’assaut.
L’oiselle referma les ailes et plongea pour récupérer Rufinus, qui tombait vers le sol à demi évanoui de terreur.
— Ne recooommeeence pluuus jaaamais çaaa ! s’écria-t-il quand elle l’eut rattrapé.
Ses cris disparurent dans le vent, tandis qu’elle filait vers le désert de Chamiyé. L’oiselle volait si vite que Rufinus n’avait pas le temps de fixer son regard sur quoi que ce soit. Mais les corbins les talonnaient toujours.
— Plus viiite !
Encore un coup d’ailes, et la montagne disparaîtrait.
— Alleeez !
Elle vola en rase-mottes, effraya quelques gazelles, dispersa une famille de gerbilles – rien à faire. Derrière eux, la nuée de corbeaux continuait d’approcher, toujours plus près, toujours plus noire.
— Ils vont nous raaattraper ! s’égosilla Rufinus.
Elle déploya ses ailes au maximum et monta en chandelle, dans l’espoir de semer la main sombre qui s’avançait dans leur direction.
— Mais ce n’est pas possiiible glapit Rufinus. Ils se nomment légiiion ! Nomen illis legiiio !
Soudain, quelques corbeaux les rejoignirent. L’oiselle esquiva, feinta, volta, effectua un tonneau… Et lâcha Rufinus, pour le rattraper de justesse, d’une serre.
— Au secouuurs !
N’en pouvant plus, il ferma les yeux. Une cacophonie de croassements suraigus lui brisa les oreilles, si fort qu’il rouvrit les yeux. Il faisait noir ; car les corbeaux les enveloppaient de si près, ils étaient si nombreux, qu’ils enfouissaient le jour sous un linceul d’ailes. L’oiselle aperçut une issue, droit devant. Tel un nageur en eau profonde se hâtant de remonter à la surface, elle battit des ailes pour s’extraire de la mélasse où ils étaient plongés, et finit par crever la masse noire des corbeaux qui s’agglutinaient devant eux.
Du sang gicla, suivi d’une vague lumineuse.
— Gloire à toi, ô soooleil ! s’écria Rufinus. Tu disperses la nuuuit, et réconfooortes les valeureux !
Claquant des dents, il ébaucha un début de prière. C’est alors qu’une ombre l’engloutit. Au-dessus d’eux, les doigts charbonneux d’une main composée d’un millier de corbins s’étendaient pour les attraper.
— Oiseaux de malheuuur !
Jamais il n’aurait cru qu’ils quitteraient leur aire.
Mais s’ils étaient nombreux – et certainement guidés par la magie –, l’oiselle était rapide. Accélérant, elle laissa sur place les corbeaux, qui peu à peu s’égaillèrent.
Le désert était là – vaste étendue de sable et de rocailles, mamelonnée de crêtes brunes d’où surgissaient quelques cactus à l’air mal réveillé. L’oiselle se dirigea vers eux en un long vol plané. Elle espérait que les corbeaux ne l’y suivraient pas, de crainte d’être taillés en pièces par les piquants, aussi affûtés que les sabres de Kali. Pourtant ils s’y risquèrent.
Alors elle se mit à voler en zigzags, frôlant de si près les cactus que l’escadrille de corbeaux s’y fracassa – telle une vague contre un rocher.
— Eh bien, souffla Rufinus, la prochaine fooois, fais-moi penser à tooourner sept fois ma langue dans ma booouche avant d’accepter de paaartir en mission. Et maintenant, en roooute pour Ténébroooc !
L’oiselle poussa un cri, qui retentit majestueusement sous la voûte des cieux, et ils poursuivirent leur voyage.
Plus tard, beaucoup plus tard et beaucoup plus à l’est, ils survolèrent une haute muraille, puis une vaste étendue noire – de cendre et de poussière. Ici, pas d’autre végétation qu’une herbe jaune et courte, ni d’autres animaux que quelques rats et des chevaux sauvages. Ce n’était pas un endroit pour la vie.
Deux taches blanchâtres, cependant, donnaient à ce paysage lunaire un aspect insolite. Deux taches, vraiment ? En fait non, il s’agissait de deux têtes ; deux têtes qui dépassaient du sol, et vers lesquelles l’oiselle descendit en piqué.
— On arriiive ! On arriiive ! Seigneur, faiiites qu’elle soit encore en viiie !
Peu lui importait que Simon le soit également, car c’était lui la cause de ce drame…
— Cassiooopée ! Cassiooopée !
Rufinus criait à en perdre la voix, mais Cassiopée ne bougeait pas. Était-elle morte ? L’oiselle se posa à deux pas de la jeune femme, et lâcha Rufinus – qui roula sur lui-même, puis se retrouva nez à nez
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