Crucifère
d’une montagne. On racontait qu’il y avait fait forer des souterrains si profonds qu’il était tombé sur le feu originel – celui dont les djinns eux-mêmes étaient issus. On racontait aussi qu’il avait scellé un pacte avec ces forces élémentaires. En échange d’offrandes quotidiennes de sang humain, les djinns avaient creusé la pierre avec leurs propres mains incandescentes, allant jusqu’à Damas. Et même beaucoup plus loin…
Il s’épongea le front une nouvelle fois, et s’arrêta pour écouter. N’avait-il pas entendu comme le souffle d’une forge ? Non. Ce devait être le vent…
Pour se donner du courage, il murmura un Ave Maria et poursuivit sa marche. Enfin, après une longue progression avec pour seul guide le clapotis de l’onde, il perçut sur le plafond de son tunnel quelques reflets ambrés, et arriva bientôt en vue d’une béance ouverte dans la roche.
— De la lumière, enfin !
On aurait dit que le soleil avait glissé un œil dans le souterrain pour observer l’étrange créature qui marchait vers lui : un homme à la barbe et à la chevelure ébouriffées.
Se protégeant les yeux de la main, Emmanuel huma la chaude odeur du désert, se demandant s’il parviendrait à rejoindre un jour – au mieux, ses frères hospitaliers au pis les Sarrasins.
Sa curiosité rassasiée, le soleil reprit son ascension et laissa Emmanuel au milieu du néant. Car à l’extérieur du souterrain dont il venait d’émerger, ce n’était que sable, sable et sable, à perte de vue. « Décidément, se dit-il, ce n’est pas de chance. Survivre à une chute impressionnante, passer je ne sais combien de temps à me remettre de mes blessures dans une grotte, avec un arbre et une prophétesse pour toute compagnie, tout ça pour me retrouver seul au milieu de nulle part… »
Cette situation lui rappela la fois où il était parti à la rencontre du convoi transportant la rançon de la Vraie Croix, et où il avait dû s’orienter dans une région qu’il ne connaissait pas. « Quand on n’a pas le choix de sa vie, autant choisir sa mort », s’était-il dit alors.
— Mort pour mort, s’écria-t-il en reprenant à son compte la devise de Morgennes, autant se battre et aller jusqu’au bout !
Curieusement, Emmanuel ne s’était jamais senti aussi fort ni aussi vivant de toute son existence… Il survivrait. Il en avait la conviction. Guillaume de Tyr avait raison : si Dieu l’avait épargné, c’est qu’il y avait une raison.
« Hé toi, dit-il mentalement au soleil. Tu ne pourrais pas m’adresser un signe ? Me donner un petit coup de main ? » Les yeux levés vers le ciel, une main sur le front, Emmanuel guetta un mouvement. Rien. « Où aller ? » Pour se guider, il pensait se fier au soleil, et donc se rendre soit dans sa direction, soit dans la direction opposée. En marchant vers l’ouest, il finirait par atteindre le djebel Ansariya, ses Assassins et – s’il avait de la chance – le Krak des Chevaliers. Tandis qu’à l’est, c’était encore le désert, le désert, puis la Mésopotamie, la Perse et la nuit.
« Allons vers le Krak », se dit Emmanuel.
Après avoir longuement cheminé, dans un sable si fin qu’il s’y enfonçait jusqu’aux mollets, vint un moment où il se retrouva à bout de forces. Il s’assit pour se reposer, prit sa gourde et la porta à sa bouche… Elle était vide. Cette fois, c’était la fin.
« C’est trop bête. » Il se rappela l’époque où il avait accompagné Guillaume de Tyr et Baudouin IV dans le désert du Robat el-Khaliyeh, et où il avait déjà cru mourir. « On n’échappe pas deux fois au désert… »
Il s’allongea, et ferma les yeux. « Je puis au moins mourir en paix. Peut-être. » Il entama alors un énième Ave Maria, pour confier son âme à sa Dame. « Ave, Maria, gratia plena : Dominus tecum ; benedicta tu in mulieribus… » Le bien-être l’envahit, comme une onde de fraîcheur.
« Une onde de fraîcheur ? »
Emmanuel rouvrit les yeux, et s’aperçut qu’il se trouvait effectivement dans l’ombre d’un… Il n’arrivait pas à définir ce que c’était. On aurait dit un homme, mais en beaucoup plus grand. « Un géant ? »
D’un coup, il bondit sur ses jambes et remua les bras en direction de l’ombre.
— Hé ho !
Oui. C’était bien un homme, mais qui ne l’avait pas remarqué – et venait vers lui à toute allure. « Quel démon est-ce
Weitere Kostenlose Bücher