Dans l'intimité des reines et des favorites
reine mère répondit avec humeur :
— J’ai bien d’autres choses à penser. Qu’on né mé parlé plou dé ces gens-là. Jé leur avais bien dit qu’ils devaient rétourner en Italie.
Après avoir ainsi renié son favori, elle demanda une audience au roi ; Louis XIII lui fit répondre qu’il n’avait pas le temps de la recevoir. Elle insista, supplia. En vain. Finalement, elle poussa la bassesse jusqu’à lui faire dire que « si elle avait connu son projet elle aurait remis Concini entre ses mains, pieds et mains liés ».
Cette fois elle ne reçut aucune réponse, mais Vitry vint lui interdire de sortir de son appartement.
Derrière lui se trouvaient des maçons ; ils murèrent les portes, sauf une, et Marie comprit qu’elle était prisonnière au milieu du Louvre.
Accablée, elle se jeta sur son lit et se mit à pousser des cris lugubres qui indisposèrent son entourage.
L’après-midi, tandis que des gardes ficelaient Concini dans une vieille nappe et allaient l’enterrer discrètement à Saint-Germain-l’Auxerrois où une fosse avait été creusée, des ouvriers vinrent, sur l’ordre du roi, démolir le « pont d’amour ». Le bruit des haches attira Marie de Médicis à sa fenêtre. En voyant disparaître cette passerelle qui lui rappelait tant de nuits chaudes, elle eut soudain atrocement mal. « Chaque coup qu’elle entendait, nous dit-on, retentissait dans son cœur. » Et, pour la première fois depuis la mort de son favori, elle pleura.
En apprenant que le maréchal d’Ancre avait été assassiné, les Parisiens furent ravis.
— Où est-il, ce salaud, qu’on aille lui cracher à la figure ? demandaient-ils avec un air gourmand.
Lorsqu’ils surent qu’il était déjà enterré, ils éprouvèrent une grande déception et eurent l’impression de n’avoir pas suffisamment profité de l’événement.
Ceux qui étaient venus jusqu’au Louvre dans l’espoir de voir le cadavre de Concini se rendirent dans une taverne et cherchèrent à se consoler en chantant des refrains orduriers sur la reine et son favori. À l’aube, un excité monta sur une table :
— Il faudrait au moins aller danser sur sa tombe, à ce fumier, cria-t-il.
Aussitôt toute l’assistance se leva :
— Allons-y !
À sept heures du matin, deux cents personnes, l’œil mauvais, entraient dans Saint-Germain-l’Auxerrois. « Le premier désordre fut de ceux qui alloient cracher sur la tombe et trépigner des pieds là-dessus, nous dit le sieur Cadenet, frère du connétable de Luynes. Après lesquels, d’autres commencèrent à gratter à l’entour avec les ongles, et firent tant qu’ils découvrirent les jointures des pierres [214] . »
Bientôt la pierre tombale fut soulevée et un homme se pencha sur la fosse. Il attacha une corde aux pieds du cadavre, s’arc-bouta, tira. Quelques prêtres, surgis de la sacristie, essayèrent de s’interposer. Ils furent rudoyés et durent prendre la fuite. Lorsqu’ils eurent disparu, l’homme reprit sa corde, fit un dernier effort et le corps du maréchal glissa sur les dalles. Il y eut de grands cris de joie et aussitôt une volée de coups de bâton s’abattit sur le cadavre déjà fort abîmé par Vitry. Des femmes hurlantes vinrent le griffer, le gifler et lui cracher au visage. Puis on le traîna jusqu’au Pont-Neuf où l’on attacha la tête en bas à une potence. Le peuple, pris de vertige devant sa propre audace, exécuta autour de ce pendu de cauchemar une danse frénétique en improvisant des chansons ignobles. Cette ronde dura une demi-heure. Soudain, un jeune homme s’approcha du cadavre avec un petit poignard, lui coupa le nez et le mit dans sa poche en guise de souvenir. Aussitôt, ce fut la ruée. Tous les manifestants voulurent rapporter un bibelot chez eux. Les doigts, les oreilles et même les « parties honteuses » disparurent en un clin d’œil. Les moins favorisés durent se contenter d’un simple « lopin de chair » découpé dans le gras de la fesse…
Quand tout le monde eut pris son morceau, la foule, de plus en plus excitée, dépendit le cadavre et le traîna à travers Paris en poussant des hurlements terribles. La rage de ces gens était telle qu’on assista à des scènes dignes du Grand-Guignol. « Il y eut, nous dit Cadenet, un homme vêtu d’écarlate si enragé qu’ayant mis sa main dans le corps, il l’en retira toute sanglante et la porta dans sa bouche pour sucer le sang et
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