Dans l'intimité des reines et des favorites
mère. Après, il lui fit dire par M me du Fargis, dame d’atours, que, si elle voulait, il la tirerait bientôt de la misère dans laquelle elle vivait. La reine, qui ne croyait point que ce fût lui qui la fit maltraiter, pensa d’abord que c’était par compassion qu’il lui offrait son assistance, souffrit qu’il lui écrivit, et lui fit même réponse, car elle ne s’imaginait pas que ce commerce produisît autre chose qu’une simple galanterie. »
La jeune reine commença par trouver fort agréables les hommages de Richelieu et elle l’invita à venir bavarder dans sa chambre. Le cardinal rencontrait là M me de Chevreuse, une ravissante blonde dont le tempérament causait quelque scandale, et l’on potinait pendant des heures. Quelquefois l’on dansait et Richelieu, qui était prêt à tout pour conquérir le cœur d’Anne d’Autriche, accepta même, un jour, de se laisser habiller en turlupin espagnol et d’esquisser une sarabande à la demande de la reine.
Voici comment le comte de Brienne nous conte cette scène extraordinaire :
« La princesse et sa confidente, écrit-il, avoient en ce temps l’esprit tourné à la joie pour le moins autant qu’à l’intrigue. Un jour qu’elles causoient ensemble et qu’elles ne pensoient qu’à rire aux dépens de l’amoureux cardinal : “Il est passionnément épris, Madame, dit la confidente, je ne sache rien qu’il ne fît pour plaire à Votre Majesté. Voulez-vous que je vous l’envoie un soir, dans votre chambre, vêtu en baladin ; que je l’oblige à danser ainsi une sarabande ; le voulez-vous ? Il y viendra. – Quelle folie !” dit la princesse. Elle étoit jeune, elle étoit femme, elle étoit vive et gaie ; l’idée d’un pareil spectacle lui parut divertissante. Elle prit au mot sa confidente, qui fut, du même pas, trouver le cardinal. Ce grand ministre, quoiqu’il eût dans la tête toutes les affaires de l’Europe, ne laissoit pas en même temps de livrer son cœur à l’amour. Il accepta ce singulier rendez-vous : il se croyoit déjà maître de sa conquête ; mais il en arriva autrement. Boccau, qui étoit le Baptiste d’alors et jouoit admirablement du violon, fut appelé. On lui recommanda le secret : de tels secrets se gardent-ils ? C’est donc de lui qu’on a tout su. Richelieu étoit vêtu d’un pantalon de velours vert ; il avoit à ses jarretières des sonnettes d’argent ; il tenoit en main des castagnettes et dansa la sarabande que joua Boccau. Les spectatrices et le violon étoient cachés, avec Vautier et Béringhien, derrière un paravent, d’où l’on voyait les gestes du danseur. On rioit à gorge déployée ; et qui pourroit s’en empêcher, puisque, après cinquante ans, j’en ris encore moi-même [219] ? »
Bientôt Richelieu crut pouvoir passer à l’attaque :
« Le cardinal, dit Tallemant, qui voyait quelque cheminement à son affaire, lui fit proposer par la même M me du Fargis de consentir qu’il tînt auprès d’elle la place du roi ; que, si elle n’avait pas d’enfants, elle serait toujours méprisée et que le roi, malsain comme il était, ne pouvant pas vivre longtemps, on la renverrait en Espagne ; au lieu que si elle avait un fils du cardinal, et le roi venant à mourir bientôt, comme cela était infaillible, elle gouvernerait avec lui ; car il ne pourrait avoir que les mêmes intérêts, étant père de son enfant ; que pour la reine mère, il l’éloignerait, dès qu’il aurait reçu la faveur qu’il demandait. »
Anne d’Autriche ne s’attendait pas du tout à une telle proposition. Stupéfaite et un peu affolée, elle comprit qu’elle avait commis une grave imprudence en laissant le cardinal lui faire la cour.
Le soir, M me du Fargis alla voir Richelieu et lui apprit, avec mille ménagements, car elle le savait fort susceptible, que la reine avait rejeté sa requête.
Le prélat fut déçu, à la fois en tant qu’homme, car il désirait vivement commettre un voluptueux crime de lèse-majesté, et en tant que premier ministre, car il croyait agir pour le bien du royaume en donnant un dauphin à la France.
Sans rien laisser paraître, il s’inclina.
— Allez dire à la reine que je regrette, dit-il simplement.
Pendant quelques semaines, il continua pourtant d’espérer : Anne d’Autriche lui plaisait tellement, nous dit-on, « qu’il fit tout ce qu’il put pour la voir une fois dans le lit ; mais il n’en put
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