Dans l'intimité des reines et des favorites
venir à bout [220] ».
Jamais la reine ne lui permit la moindre privauté. Au contraire, elle devenait en sa présence d’une impressionnante dignité et le considérait d’un œil glacé. Finalement, Richelieu comprit qu’il était évincé et en conçut une rage froide.
Un jour, pourtant, se trouvant seul avec Anne d’Autriche dans un cabinet, il ne put s’empêcher de lui « faire un discours passionné ». La reine, excédée, allait lui répondre « avec colère et mépris », quand le roi entra brusquement.
— De quoi vous entreteniez-vous ? demanda-t-il à la reine.
— De fadaises !
Et elle sortit de la pièce sans jeter un regard au cardinal. Par la suite, nous dit M me de Motteville, elle ne lui parla jamais de cette scène, « craignant de lui faire trop de grâce en lui témoignant qu’elle s’en souvenait » [221] .
Richelieu rentra chez lui bien décidé à se venger. Il devinait le tourment que la chasteté imposée par le roi causait à la jeune femme et savait qu’un jour immanquablement elle tomberait amoureuse d’un garçon vigoureux.
La vengeance était toute trouvée : puisque Anne d’Autriche ne voulait pas de lui, il l’empêcherait d’être à un autre. Dès ce moment, tout en dirigeant les affaires de l’État, il eut l’œil fixé sur la vertu de la reine…
Un Anglais allait lui causer bien des ennuis. En 1625, le duc de Buckingham, jeune seigneur fort élégant de la cour d’Angleterre, vint en France pour y négocier le mariage du roi Charles I er avec Henriette-Marie, sœur de Louis XIII .
Cette mission n’était d’ailleurs qu’un alibi, car le roi anglais l’avait chargé de former un parti destiné à protéger les huguenots. Fin diplomate, il utilisa naturellement les femmes pour servir ses desseins. En effet, Sauval nous dit que « pour réussir dans ce qu’il avoit prémédité, il jugea nécessaire de s’acquérir quelque familiarité chez les dames qui avoient quelque crédit à la cour, étant bien persuadé qu’il est difficile aux personnes de leur sexe de cacher ce qu’elles ont de plus secret à ceux qui ont été assez heureux pour leur toucher le cœur » [222] .
Il entra en relation avec M me de Chevreuse qui était depuis un an la maîtresse d’un sujet britannique, le comte de Holland, et devint rapidement un de ses familiers. Par elle, il apprit que la jeune reine s’ennuyait et attendait secrètement un Prince Charmant. Le lendemain, il rencontra Anne d’Autriche et « eut grande envie de la tenir dans ses bras. »
La souveraine, de son côté, ne fut pas insensible au charme de ce gentilhomme athlétique qui semblait avoir toutes les qualités dont Louis XIII était dépourvu. Elle ne chercha d’ailleurs pas à cacher son émotion et Buckingham s’en aperçut.
On le vit alors faire mille folies pour l’éblouir. Un soir, au cours d’une fête donnée par le cardinal, il parut avec un vêtement de bal orné de perles qu’il avait fait mal coudre exprès. Comme il s’inclinait devant Anne d’Autriche, ces joyaux se détachèrent un à un et roulèrent sur le parquet. Les courtisans se précipitèrent pour les ramasser et les lui tendirent.
— Merci, dit-il, avec un beau sourire un peu méprisant, gardez-les !
Ce geste amusa la reine qui souffrait tant de l’avarice de Louis XIII . Elle le lui dit et ils dansèrent ensemble avec un trouble évident. Lorsque la musique s’arrêta, leurs doigts étaient entrelacés. Ils les détachèrent lentement « en se regardant de façon brûlante, nous dit-on, et un peu déshonnête ».
Dans un coin du salon, Richelieu, livide, les épiait de son œil de vautour.
À trois heures du matin, Anne d’Autriche et M me de Chevreuse rentrèrent au Louvre. La reine encore émue d’avoir dansé avec Buckingham était dans un état de grande excitation. Lorsqu’elle fut dans son appartement, nous dit un chroniqueur, « cédant à un désir d’épanchement irrésistible, se laissant aller au besoin impérieux de caresser un être aimé, elle se mit à embrasser sa favorite en la serrant avec force sur son sein. Elle couvrit de baisers ses bras, ses épaules, sa gorge, qu’elle inondait de pleurs brûlants ».
Les sentiments qui l’agitaient étaient si violents qu’elle se déshabilla entièrement, se coucha, et demanda à M me de Chevreuse de la rejoindre dans son lit.
Quand elles s’endormirent, le soleil était levé.
Les
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