Dans l'intimité des reines et des favorites
jours suivants furent très décevants pour Anne et Buckingham. Tous deux croyaient bien pouvoir s’aimer en toute tranquillité dans quelque chambre écartée et connaître la joie d’un bonheur illicite. Ils comptaient naïvement sans la haine de Richelieu. Le cardinal, qui ne dormait pas depuis « que l’ambassadeur anglais flairait les appas de la reine », avait en effet chargé quelques-uns de ses hommes d’être constamment aux côtés d’Anne d’Autriche. Aussi les deux amoureux ne purent-ils rien entreprendre de sérieux pendant les quinze jours que durèrent les négociations. Richelieu s’en réjouit, croyant que tout danger était écarté : il devait bientôt déchanter…
Le 2 juin 1625, la princesse Henriette, qui devait aller retrouver son mari, quitta le Louvre accompagnée de Buckingham, Marie de Médicis, Anne d’Autriche et de toute une suite où se trouvait M me de Chevreuse.
À Amiens, la future reine d’Angleterre devait dire adieu à sa famille. Il y eut quelques fêtes et, un soir, M me de Chevreuse, qui souffrait de voir la reine privée d’amour – et se fût avec joie muée en entremetteuse pour le bonheur de son amie – organisa une petite promenade dans un parc [223] . La nuit de juin était douce et, grâce à la complicité de la duchesse, Anne d’Autriche se trouva bientôt seule avec Buckingham.
Le bel Anglais fut tellement troublé qu’il perdit la tête et « s’émancipa ». Prenant la reine dans ses bras, il la poussa sur l’herbe, retroussa ses jupes d’un geste vif et « tenta de la déshonorer ». Anne d’Autriche, effrayée par tant de brutalité, se débattit et appela au secours.
Toute la suite accourut.
La reine se jeta alors dans les bras de M me de Chevreuse et, devant Buckingham un peu gêné, éclata en sanglots.
On devait apprendre par la suite que le galant, dans son emportement, « lui avait écorché les cuisses avec ses chausses en broderies… [224] ».
Comme dit M me de Motteville, jamais à court d’euphémisme, « le duc de Buckingham fut le seul qui eut l’audace d’attaquer son cœur… [225] ».
Pendant que la reine pleurait, l’Anglais, ne se jugeant plus indispensable, s’esquiva sans bruit.
Alors le groupe se resserra autour d’Anne, et des visages apparurent éclairés par la lune. Des visages étonnés, voire narquois, mais nullement bouleversés, l’incident n’ayant choqué personne. « Tous ces gens, nous dit un historien du temps, étoient accoutumés à en voir de toutes les couleurs à la cour, aussi la plupart se contentèrent-ils de penser que le duc avoit une façon un peu vive de manifester ses sentiments [226] . »
Quand la reine retrouva quelques forces, elle appela Putanges, son écuyer, et le blâma :
— Vous êtes responsable de ce qui s’est passé, dit-elle, vous ne devez, en effet, sous aucun prétexte, vous éloigner de moi.
Et comme l’autre, piteux, baissait la tête, elle ajouta :
— Allez cependant dormir en paix ; cette affaire n’aura point de suites fâcheuses pour vous, car j’entends que le roi n’en sache rien [227] .
Après quoi, elle prit la main de M me de Chevreuse et se dirigea vers son logis. Le petit groupe les suivit silencieusement.
Pour tout le monde, la soirée avait été gâchée.
Pour tout le monde, mais surtout pour le duc, on en conviendra. Toute la nuit, honteux et désespéré, le malheureux chercha en vain le sommeil. À l’aube, enfin il s’endormit, les yeux gonflés d’avoir trop pleuré.
Au même instant, le soleil commençait à éclairer les orties écrasées et les herbes flétries à l’endroit où la reine de France avait été culbutée comme une servante…
Dans la matinée, Anne fit appeler M me de Chevreuse pour lui dire son inquiétude. Elle craignait que, malgré ses ordres, le roi ne fût informé de l’incident, et redoutait sa jalousie.
À plusieurs reprises, elle s’emporta contre le duc – mais de telle façon que la confidente comprit qu’Anne reprochait surtout à Buckingham d’avoir été maladroit. Au lieu d’organiser une entrevue discrète au cours de laquelle elle se serait, avec ravissement, laissé manquer de respect, il l’avait obligée à se débattre et à crier ; il lui avait même fait courir le risque d’être surprise dans une posture gênante et elle lui en gardait rancune.
Et puis, ce geste inconsidéré n’avait-il pas irrémédiablement compromis
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