Dans l'intimité des reines et des favorites
dans son voyage. Le gouverneur accepta, et le plaisir de visiter un pays inconnu se doubla pour la reine Margot des délices d’une lune de miel…
Elle n’oubliait pas pour autant sa mission. D’ailleurs, cette aventure galante faisait partie d’un plan. Marguerite, dans ses Mémoires , laisse entendre, en effet, qu’en se faisant accompagner par le gouverneur de Cambrai elle pensait gagner celui-ci à la cause du duc d’Anjou : « La souvenance de mon frère ne me partant jamais de l’esprit pour n’affectionner rien tant que lui, je me ressouvins lors des instructions qu’il m’avait données, et voyant la belle occasion qui m’était offerte pour lui faire un bon service en son entreprise de Flandre, cette ville de Cambrai et cette citadelle en étant comme la clef, je ne la laissai perdre et employai tout ce que Dieu m’avait donné d’esprit à rendre M. d’Inchy affectionné à la France et particulièrement à mon frère. Dieu permit qu’il me réussît si bien que, se plaisant à mes discours, il me demanda de m’accompagner tant que je serais en Flandre… »
Dans toutes les villes où elle s’arrêtait – et où on lui faisait fête – elle savait fort habilement parler de François, vantant ses mérites et promettant même des charges et des titres à ceux qui voudraient aider ce frère chéri à conquérir les Pays-Bas.
À Mons, elle tint le discours suivant à la comtesse de Lalain qui se plaignait de l’occupation espagnole :
— Mon frère M. d’Anjou est nourri aux armes, et estimé un des meilleurs capitaines de ce temps. Vous ne sauriez appeler un prince de qui le secours vous soit plus utile, pour vous être si voisin, et avoir si grand royaume que celui de France à sa dévotion, duquel il peut tirer hommes et moyens et toutes commodités nécessaires à cette guerre. Et s’il recevait ce bon office de M. le comte, votre mari, vous vous pouvez assurer qu’il aurait telle part à sa fortune qu’il voudrait.
Elle ajouta même :
— Que si mon frère s’établissait ici par votre moyen, vous pourriez croire que vous m’y reverriez souvent, étant notre amitié telle, qu’il n’y en eût jamais, de frère à sœur, si parfaite [35] .
Ce qui était vrai… On avait rarement vu un amour fraternel aussi exacerbé.
À Namur, don Juan d’Autriche, frère bâtard de Philippe II , et gouverneur des Pays-Bas, accueillit Marguerite avec un éclat particulier. Six mois auparavant, passant par Paris incognito, il avait réussi, grâce à l’ambassadeur d’Espagne, à se glisser à la cour où se donnait un bal, et à voir, sans être reconnu, cette reine Marguerite dont toute l’Europe parlait… Naturellement, il était tombé amoureux d’elle, bien que l’éclair de son regard l’eût un peu effrayé. Le soir, pensif, il s’était confié à des amis :
— Sa beauté est plus divine qu’humaine, mais elle était plus faite pour damner les hommes que pour les sauver [36] …
Marguerite était bien renseignée et comptait utiliser son dangereux charme pour s’assurer la neutralité bienveillante de don Juan au moment où le duc d’Anjou tenterait un coup de force dans le pays.
À Namur, elle mit une robe de brocart, « qui la moulait de façon fort impudique et laissait voir jusqu’au bout rose de ses tétons ». Mais le fils naturel de Charles Quint se méfia ; il fit organiser des fêtes, jouer des violons, dire des grand-messes en musique, sans se départir d’une réserve qui étonna beaucoup Marguerite. Elle s’attendait à devoir dire « oui », et on ne lui demandait rien. Fort déçue, elle reprit la route de Spa, continuant dans chaque ville traversée à faire des discours contre les Espagnols.
— Révoltez-vous, disait-elle aux notables, et appelez le duc d’Anjou !
Elle réussit parfaitement. « Jamais diplomate, au milieu des fêtes et des honneurs, ne sut plus habilement venir à bout de ses projets », nous dit B. Zeller [37] . Aussi, une agitation extrême commença-t-elle bientôt à se manifester dans tout le pays. À Liège, elle reçut un accueil chaleureux de la part des seigneurs flamands et allemands qui organisèrent des fêtes somptueuses en son honneur. Finalement, elle n’eut pas le temps d’aller jusqu’à Spa, distante de sept lieues, et dut se faire apporter les eaux dans des tonneaux…
Tout allait donc pour le mieux, quand elle apprit par une lettre de son frère bien-aimé que le roi
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