Dans l'intimité des reines et des favorites
quelques familiers. Un mignon entra, ferma la porte, tira soigneusement la grosse tenture qui étouffait les bruits et s’approcha du roi.
— Sire, méfiez-vous, dit-il. Votre frère continue de conspirer. Il est en relation, grâce à la reine Marguerite, avec les seigneurs de Flandre et les seigneurs huguenots, et se prépare à engager des troupes allemandes. Pendant ce temps, vous lui faites bonne chère. Ce soir même, vous lui avez accordé la permission d’aller chasser demain à Saint-Germain… N’est-ce pas une imprudence ? Que va-t-il faire, là-bas ? Courre le cerf ou rencontrer les hommes qui voudraient le voir sur le trône ?
Tous les mignons, qui haïssaient François, firent chorus.
— Ce brusque désir d’aller chasser est bien suspect.
— Or, ajouta le nouveau venu, je viens d’apprendre qu’il a reçu ce soir une lettre mystérieuse.
Henri III , livide, se leva, enfila rapidement sa robe de nuit et se précipita chez sa mère. « Il avait l’air si ému, écrit Marguerite, qu’on eût dit qu’il y avait alarme publique ou que l’ennemi fût à la porte [38] . »
— Comment, Madame ? s’écria-t-il, que pensez-vous de m’avoir demandé de laisser aller mon frère ? Ne voyez-vous pas, s’il s’en va, le danger où vous mettez mon État ? Sans doute sous cette chasse y a-t-il quelque dangereuse entreprise. Je m’en vais me saisir de lui et de tous ses gens, et ferai chercher dans ses coffres. Je m’assure que nous découvrirons de grandes choses [39] .
Puis il appela ses gardes et leur dit :
— Suivez-moi.
La petite troupe partit en courant dans les couloirs du Louvre, en direction de la chambre du duc d’Anjou.
Affolée à l’idée que le roi, dans sa colère, allait peut-être faire tuer François, la reine mère, en chemise de nuit, suivit le mouvement. Derrière elle, galopaient, à tout hasard, des porteurs de flambeaux et quelques dames de la suite, les bras encombrés des vêtements qui eussent été nécessaires à Catherine de Médicis pour se montrer décemment en public…
Cette galopade burlesque dura quelques minutes. Devant la chambre de François, tout le monde s’arrêta, essoufflé.
— Ouvrez, cria Henri III en frappant la porte de son poing.
Le duc d’Anjou, qui dormait paisiblement, vint tirer le verrou et passa la tête. Aussitôt la horde le repoussa jusqu’au lit. Là, maintenu par des gardes, il dut subir les injures du roi, pendant que des archers fouillaient les coffres, vidaient les tiroirs, éventraient les fauteuils, transformant la pièce en un véritable magasin de bric-à-brac.
Au milieu de ce désordre, la reine mère pleurait, enveloppée dans un vieux manteau.
Quand il se fut repu d’injurier son frère, le roi, qui était impatient de connaître le contenu de la mystérieuse lettre signalée par le mignon, participa lui-même aux recherches. Après avoir retourné les poches des vêtements, vidé les vases, décroché les tableaux, il souleva les draps du lit et aperçut un rectangle de papier ; avant qu’il n’ait eu le temps de le prendre, François s’en saisit. Furieux, Henri III se précipita sur lui, et les deux frères se battirent pendant quelques instants sur le lit.
Catherine de Médicis intervint :
— Sire, vous êtes le roi de France, et voilà l’état dans lequel vous vous mettez.
Henri III lâcha le duc d’Anjou. Retrouvant un peu de son sang-froid, il dit :
— Je vous ordonne de me laisser voir cette lettre.
François se mit à genoux, assurant qu’il ne s’agissait pas d’un papier intéressant la politique.
Mais les gardes s’approchèrent et lui tordirent le bras jusqu’à ce qu’il eût lâché prise.
Le roi prit alors vivement le papier chiffonné, lut les quelques phrases qui s’y trouvaient écrites et le jeta par terre d’un geste nerveux.
C’était une lettre extrêmement tendre de M me de Sauve, avec qui François venait de renouer.
Henri III ne s’attendait pas du tout à cela. Il resta, nous dit Marguerite dans ses Mémoires , « aussi confus que Caton quand, ayant contraint César dans le Sénat de montrer le papier qui lui était apporté, disant que c’était chose qui importait au bien de la république, il lui fit voir que c’était une lettre d’amour de la sœur du même Caton, adressée à César ».
Vexé de se trouver dans une situation ridicule, le roi ordonna à M. de Losse de garder le duc d’Anjou et de prendre
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