Dans l'intimité des reines et des favorites
était au courant de ses entretiens avec les Flamands. Après être entré dans une formidable colère, il avait averti les Espagnols, dans l’espoir que Marguerite serait arrêtée comme conspiratrice…
Quand il s’agissait de sa sœur, Henri III se laissait décidément aller à la plus démente des jalousies, car c’était bien la première fois qu’un souverain français désirait voir une fille de France prisonnière d’un roi étranger…
Affolée, la reine de Navarre prévint ses dames d’honneur, leur dit de laisser là robes, bagages, cadeaux, parures, bijoux, et de se préparer à partir d’un instant à l’autre ; puis elle courut voir quelques amis favorables au duc d’Anjou et obtint des chevaux. Deux heures plus tard, Marguerite et toute sa suite galopaient à bride abattue en direction de la France.
Le soir, les fugitives atteignaient Huy, à sept lieues de Namur, fourbues et couvertes de poussière. À peine y étaient-elles logées que le tocsin sonna. Elles coururent aux fenêtres et virent les habitants tendre des chaînes en travers des rues et braquer un canon en direction de leur maison. Terrifiées, elles crurent que les Flamands allaient les tuer et ne fermèrent pas l’œil de la nuit. « Le matin, écrit Marguerite dans ses Mémoires , ils nous laissèrent sortir, ayant bordé toute la rue de gens armés. Nous allâmes de là coucher à Dinan, où par malheur ils avaient élu, ce jour même, les bourgmestres, qui sont comme consuls en Gascogne et eschevins en France. Tout y était donc en débauche, tout le monde ivre, point de magistrats connus, bref un vrai chaos de confusion… Soudain, en nous voyant, ils s’alarment. Ils quittent les verres pour courir aux armes, et tout en tumulte, au lieu de nous ouvrir, ils ferment les barrières. »
Toutes les dames tremblaient à la vue de cette troupe d’ivrognes qui s’approchaient en hurlant. Alors, Marguerite s’avança, seule, et demanda le silence sur un tel ton que le tapage s’arrêta aussitôt :
— Je suis la sœur du roi de France, dit-elle.
La foule titubante s’immobilisa, stupéfaite.
Les bourgmestres vinrent. Ils étaient plus saouls encore que les autres. Bafouillant, bredouillant, ils firent mille révérences, s’excusèrent du mauvais accueil des habitants et conduisirent Marguerite et ses suivantes vers une maison où elles passèrent la nuit.
Après quoi, brisés par l’émotion, ils retournèrent chez eux en chantant des refrains obscènes…
Après cinq jours de voyage aussi mouvementé, les fugitives, harassées, arrivèrent enfin à La Fère, ville qui appartenait au duc d’Anjou. François s’y trouvait, attendant sa sœur avec impatience. Le soir même, plus amoureux que jamais, ils reprenaient leurs jeux défendus…
Craignant l’accueil du roi, ils s’attardèrent en ce lieu, vivant comme des amants normaux, « couchant en même lit, tendrement accolés, au vu des dames de chambre » et s’embrassant en public sans aucune honte. François vécut là les plus belles heures de son existence. « À toute heure, écrit Marguerite, il ne pouvait s’empêcher de me dire : “Ô ma reine, qu’il fait bon avec vous. Mon Dieu, cette compagnie est un paradis comblé de toutes sortes de délices, et celle d’où je suis parti, un enfer rempli de toutes sortes de furies et de tourments.” »
Et elle ajoute :
« Nous passâmes près de deux mois, qui ne nous furent que deux petits jours, en cet heureux état. »
Durant ces deux mois, de nombreux seigneurs des Flandres vinrent visiter François à La Fère et prendre avec lui des mesures pour l’expédition qu’il préparait contre don Juan d’Autriche. À chacun, le duc remettait, en guise de souvenir, une médaille d’or portant son profil et celui de sa sœur…
Mais les meilleures choses ont une fin. Marguerite dut rejoindre la cour. Elle y fut admirablement reçue, et Henri III , avec son cynisme habituel, la plaignit beaucoup de ce qu’elle avait souffert en rentrant des Flandres…
Le lendemain, le duc d’Anjou arrivait à son tour. Le roi lui fit un fort bon accueil, et l’on put croire un moment que la paix allait enfin régner dans la famille royale – alors qu’on était à la veille d’un nouveau drame.
5
La Guerre des Amoureux
J’ai vu l’Europe incendiée pour le gant
d’une duchesse trop tard ramassé.
Mirabeau
Un soir, Henri III , allongé sur son lit, devisait avec
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