Dans l'intimité des reines et des favorites
ici !…
— Avant un an, nous serons tous riches !
Les malheureux devaient rapidement déchanter. Car, à peine installée, Margot reçut la visite d’un envoyé du duc de Guise qui lui demanda si elle accepterait d’être l’auxiliaire de la Ligue [66] dans le Languedoc et d’entreprendre une guerre contre Navarre.
Trop heureuse de pouvoir se venger des affronts reçus à Nérac, elle accepta et chargea son nouvel amant, Lignerac, bailli des montagnes d’Auvergne, de s’emparer de l’Agenais, de recruter des hommes et de fortifier la ville.
Lorsqu’elle se sentit à la tête d’une armée, Margot fut un peu grisée. Elle commença par prendre le titre de Marguerite de France et n’appela plus son mari que le prince de Béarn ; puis elle donna l’ordre d’aller attaquer Tonneins et Villeneuve-d’Agen, villes appartenant à Navarre. L’expédition fut désastreuse : insuffisamment préparés et mal dirigés, les hommes de Lignerac furent battus à plate couture aux deux endroits et « transformés en défuncts ».
Après cet échec, Marguerite dut procéder à un nouveau recrutement et à de nouveaux achats d’armes. Or les ressources dont elle disposait étaient maigres et l’argent que lui avait promis Guise n’arrivait pas. Pour s’en procurer, elle dut créer des impôts et accabler de charges les habitants d’Agen. Bien vite exaspérés, ceux-ci se révoltèrent, massacrèrent la plupart des soldats de la Ligue et livrèrent la ville aux troupes royales commandées par le maréchal de Matignon. Prise entre une cité en pleine révolte et l’armée de Henri III , Margot était exposée à être rendue à son mari ou à son frère. Épouvantée, elle monta en croupe derrière Lignerac et quitta la ville au triple galop.
Voici comment l’auteur du Divorce satyrique (qui parle au nom de Henri de Navarre) rappelle cet épisode : « Étant malaisé que le poisson ne revienne à l’hameçon, et le corbeau à la charogne, ce haut-de-chausse à trois culs se laisse derechef emporter à la lubricité et débordée sensualité, me quittant sans mot dire et s’en allant à Agen, ville contraire à mon parti, pour y établir son commerce et avec plus de liberté continuer ses ordures ; mais les habitants, présageant d’une vie insolente d’insolents succès, lui donnèrent l’occasion de partir avec tant de hâte qu’à peine se put-il trouver un cheval de croupe pour l’emporter, ni des chevaux de louage ni de poste pour la moitié de ses filles, dont plusieurs la suivaient à la file, qui sans masque, qui sans devantier, et telle sans tous les deux, avec un désarroi si pitoyable qu’elles ressemblaient mieux à des garces de lansquenets à la route d’un camp qu’à des filles de bonne maison… »
La fuite de Margot amusa tout le royaume, et les Parisiens composèrent de nombreuses chansons satiriques, dont voici un échantillon :
Le roi a la tête si grise
Qu’il ne fait plus que radoter.
Sa sœur veut trop d’hommes porter,
Elle est vraie fille de sa mère.
Ce couplet montre avec quelle liberté les chansonniers d’autrefois attaquaient les « personnages officiels »…
Emportée par le cheval de Lignerac, Margot fit cinquante lieues sans selle, sans coussinet et arriva brisée, exténuée et « la cuisse écorchée », au château fort de Carlat, près d’Aurillac.
Dès que le pont-levis fut relevé, elle respira. Ce château où elle se trouvait sans argent, et même sans linge pour se changer, était une véritable prison et « sentait plus la tanière de larron que la demeure d’une reine », mais elle y était à l’abri de son mari et surtout de son frère…
Lorsqu’il sut qu’elle s’était réfugiée à Carlat, Henri III ne put s’empêcher de dire publiquement :
— Les Cadets de Gascogne n’ont pu saouler la reine de Navarre, elle est allée trouver les muletiers et chaudronniers d’Auvergne !
Sa Majesté ne se trompait pas de beaucoup. Ce n’étaient pas des muletiers qui partageaient la couche de Margot à Carlat, mais à peu près tous les hommes de la garnison. Elle les invitait à tour de rôle. C’était le seul moyen qu’elle eût à sa disposition pour supporter cet emprisonnement volontaire.
Il y avait d’ailleurs un certain risque à recevoir ces jeunes gens, car Lignerac était d’une jalousie féroce. Un jour du printemps 1586, il entra dans la chambre de la reine ; Margot, souffrante, était
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