Dans l'ombre de la reine
fasse du mal, affirma-t-il, très en colère. Mais nous devons nous protéger ! Nous courons des risques, nous aussi !
Voyant mon regard furibond, il me secoua par les épaules.
— C’est vrai et vous le savez ! Dites-moi : si vous en avez l’occasion, courrez-vous nous dénoncer ? Vous plaît-il de m’imaginer éviscéré par le bourreau ?
Je me remis à pleurer. Mes sentiments n’étaient pas émoussés, après tout. L’attirance physique était aussi puissante qu’auparavant. Même quand nous discutions de ces choses terribles, et qu’il était tour à tour courroucé ou dédaigneux, j’avais conscience de sa chaleur, de son odeur, masculine et grisante à m’en tourner la tête. Même quand il excusait les meurtriers de John, j’avais envie de suivre du bout du doigt l’arc de ses sourcils, l’angle de sa mâchoire. Furieux, il exerçait une séduction encore plus grande. Elle m’attirait vers lui avec une force irrésistible. Si je regardais trop longtemps dans ces yeux sombres, je ne serais pas capable de me battre davantage. Néanmoins, j’essayai.
— Matthew, Matthew, ne comprenez-vous pas que Marie Stuart ne montera pas sur le trône sans effusion de sang ? Que cette vraie religion qui est la vôtre ne peut être restaurée sans… sans atrocités auprès desquelles la mort de John semble douce ? Je vous l’ai dit, je n’ai jamais assisté à une exécution sur le bûcher, mais mon oncle et ma tante…
— Mon cœur, il n’en ira pas nécessairement ainsi. Tout sera différent. Philippe d’Espagne régnait, à l’époque. Les Anglais le détestaient parce qu’il n’était pas des leurs, mais Marie Stuart descend de la lignée authentique des Tudors, et le peuple la suivra. Ursula, écoutez-moi. Je ne vous ferai pas de mal et je n’ai pas assassiné John, pas plus que je n’aurais souhaité sa mort. Je vous promets…
Encore, et encore, et encore. Quelqu’un apporta un autre repas et je crois que je mangeai un peu, quoique je ne me souvienne d’aucun des mets. Une autre heure s’écoula, me laissant rompue.
Il ne voulait, ou ne pouvait pas voir que les rêves qu’il caressait seraient un cauchemar pour les Anglais. Il avait été élevé dans des convictions ferventes, désormais gravées dans son esprit. Il ne pouvait raisonner autrement, ni comprendre que si la tentative de graver ces convictions dans l’esprit des autres engendrait des horreurs, alors cela les rendait contestables.
— Ursula, il faut faire jaillir la vérité. Les gens ne doivent pas, pour le salut de leur âme, être laissés dans l’erreur. Je serais le plus loyal sujet d’Élisabeth, si seulement elle changeait d’attitude et réinstaurait l’ancienne foi…
— Mais elle ne le pourrait pas, Matthew, même si elle le voulait. Aux yeux du catholicisme, ses parents n’ont pas convolé en justes noces, et par conséquent elle n’est pas reine de plein droit.
— Après tout ce temps, on pourrait parvenir à une sorte de compromis.
— Non.
Je me rappelai mon premier jour à la cour : la fureur d’Élisabeth devant les prétentions de Marie Stuart et son point de vue lucide sur la situation.
— Ce serait impossible, car Marie Stuart et Philippe d’Espagne ne veulent pas l’Angleterre pour l’amour de Dieu, mais pour son herbe grasse, ses troupeaux splendides, pour son étain et son fer. Vous êtes bien naïf !
— Non, Ursula, c’est vous qui êtes cynique.
— En aucune sorte. Que subirait Élisabeth si Marie Stuart montait sur le trône ?
— Une honorable captivité, je suppose.
— Tandis que ses partisans comploteraient en faveur de son retour ? Cette honorable captivité, Matthew, aurait pour cadre une prison d’une toise de long à six pieds sous terre ! Oh, pourquoi ne comprenez-vous pas ?
Mais il ne le pouvait pas. Son corps était celui d’un homme adulte et expérimenté, il possédait une vive intelligence, cependant sa foi était aussi simple que celle d’un enfant. Il était perplexe et blessé d’être défié sur ce terrain.
Et, comme sa colère, cela ne faisait qu’exacerber son attrait. J’avais envie de serrer et de consoler cet enfant, de le guérir d’un baiser. Il n’y avait aucun aspect de son être que je ne voulusse faire mien et chérir à jamais.
Enfin, j’en vins à ce qui, après tout, était à mes yeux le point essentiel :
— Matthew, que va-t-il m’arriver à présent ?
Il passa sa main, une main forte aux
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