Dans l'ombre de la reine
raidis. Will Johnson, c’était donc lui ! Je le fixai, gravant ses traits dans ma mémoire. Il mit pied à terre et je pus le voir distinctement : râblé, le cou épais et la démarche prétentieuse. Il ôta son chapeau pour se gratter le crâne, révélant une tête ronde et des cheveux foncés.
Trois hommes avaient pris part au meurtre de John. L’un était Johnson, le deuxième l’homme aux cheveux brun-roux. En bas, dans cette cour, ils se comportaient en gens ordinaires, marchant, parlant, s’enquérant avec anxiété des progrès d’un cheval boiteux. Ils avaient attaqué John, lui avaient plongé une lame dans le corps et l’avaient abandonné sous un bouquet d’ajoncs, tel un sac de détritus. Un moment, j’en oubliai presque ma propre situation. Je gardais les yeux rivés sur eux comme si je pouvais les transpercer du regard et voir la vie s’écouler d’eux.
Le troisième aussi était-il là ? Lequel était-ce ? Hormis le palefrenier de Faldene, ils étaient deux. L’un, qui était descendu de son cheval et le conduisait lui-même aux écuries, était très jeune et encore boutonneux. Quant au second, Cheveux roux le dissimulait à ma vue. Enfin, il passa la jambe par-dessus son cheval et sauta à terre. Le dernier membre du groupe, encore en selle, se pencha pour parler à Will Johnson et entra enfin dans mon champ de vision.
Il était grand, mais plus souple et plus large d’épaules que Cheveux roux. Il se redressa, dégagea ses pieds des étriers et rejoignit les autres, se tournant vers moi ce faisant. Je distinguai ses traits : un menton allongé, des sourcils d’un noir de jais.
Puis il leva la tête et me vit à la fenêtre, où je restais figée, pendant que le sang refluait de mes joues et que des larmes me brûlaient les yeux.
Oh, Dieu ! Quel tour cruel du destin ! Comment pouvait-il être avec eux ? Que faisait ici Matthew de la Roche, en compagnie de Will Johnson ?
Si la vue de Matthew m’avait paralysée, ma présence avait exercé sur lui l’effet opposé. Il lâcha les rênes de sa monture et entra en courant dans la maison. Je l’entendis lancer un ordre ; quelques instants plus tard, Oncle Herbert ouvrait la porte de la chambre et s’effaçait pour le laisser entrer. Chancelante, j’étais allée m’asseoir au bord du lit, joignant mes mains de toutes mes forces pour les empêcher de trembler.
Matthew regarda mon oncle par-dessus son épaule et jeta d’un ton sec :
— Laissez-nous !
Oncle Herbert obéit aussitôt, se soumettant sous son propre toit comme si Matthew était le maître et lui un simple majordome. Matthew vint s’asseoir près de moi et me prit les mains. Je les dégageai.
— Non ! Ursula, ma chérie ! Je désirais tant vous revoir, mais pas dans ces circonstances. On m’a dit que la nièce d’Herbert Faldene était ici, mais j’ignorais qu’il s’agissait de vous. Herbert a beaucoup de nièces. On m’a dit qu’elle…
— Qu’elle s’était montrée trop curieuse ?
— Oh, Ursula ! soupira Matthew, ce qui n’était pas une réponse.
— Votre demeure du Sussex… Vous ne m’avez jamais dit où elle se trouvait. C’est Withysham, n’est-ce pas ? Vous êtes le nouveau propriétaire ?
— Oui, mais qu’importe ?
— Ne sachant que faire de moi, mon oncle a dit qu’il consulterait Withysham. Je croyais qu’il parlait de ce Johnson, mais c’est à vous qu’il pensait ! C’est vous qui décidez de tout. Mon oncle a quitté la pièce sur votre ordre. Johnson est votre subordonné. Ces hommes avec lesquels vous êtes venus, ils sont vos… vos serviteurs, c’est bien cela ?
Tandis que je l’affrontais, mon cœur cognait dans ma poitrine. C’était toujours Matthew. Son visage, son corps m’avaient attirée irrésistiblement. J’avais marché, ri et dansé avec lui ; j’avais rêvé que nous faisions l’amour. Après l’avoir quitté à Cumnor, je m’étais morfondue dans l’attente d’une lettre de lui. Je regardais ses yeux sombres et j’avais envie d’y plonger comme dans un étang étincelant au soleil, pour m’y noyer. Mais certaines choses devaient être précisées, certaines questions posées.
— Il est exact, confirma-t-il, que je suis le propriétaire de Withysham et que Johnson, de même que ceux qui sont venus ici avec moi, travaillent sous mes ordres. Ils m’accompagnent toujours en cas… d’urgence.
— Utilisez-vous Withysham comme une sorte de quartier
Weitere Kostenlose Bücher