Dans l'ombre de la reine
ses mains et m’embrassa avant de quitter la chambre. Je ne tentai pas de l’en empêcher. Mon choix, inévitable, était déjà fait, et je n’avais réclamé ce délai que pour sauvegarder les apparences.
Et aussi pour rassembler mes forces. Car ce qui m’attendait semblait impossible, aussi impossible que de me précipiter du haut d’une falaise.
Je me jetai sur le lit et ordonnai à Dale de ne pas me déranger. Je réfléchis durant des heures.
Quand vint le soir, ma résolution était prise. Je ne savais encore comment j’y parviendrais, mais il le fallait coûte que coûte. Un miroir à main était posé sur la table de toilette, et j’y scrutai mon reflet. Mes yeux étaient ourlés de rouge, mes joues pâles et creuses. Je toquai à la porte et exigeai, en premier lieu, de l’eau pour me laver et un bonnet propre.
Ensuite, quand avec l’aide de Dale je me fus rendue présentable, je demandai à voir Matthew. Il entra du pas long et rapide qui lui était habituel et, cette fois, s’assit sur la banquette de la fenêtre, en face de moi. Il avait les traits tirés.
— Ursula, avant que vous me fassiez part de votre décision, je tiens à vous répéter ceci : je vous aime. Sincèrement. Je vous en prie, croyez-le. Et maintenant, mon cher amour, dites ce que vous désirez.
— Je vous épouserai. Toutefois, ajoutai-je avant qu’il pût donner libre cours au soulagement et à la joie, sous certaines conditions. À moins que vous n’acceptiez, il n’y aura pas de mariage.
— Quelles sont-elles ? m’interrogea-t-il, tendu et circonspect.
— Je ne veux plus jamais poser les yeux sur Johnson, Brett ou Fletcher. Ils ne se trouveront jamais sous le même toit que moi. Renvoyez-les collecter de l’argent, si vous le voulez, mais débarrassez-vous d’eux. Plus loin ils s’en iront, plus je serai satisfaite.
— J’y avais déjà songé, dit Matthew. Ils quittent Withysham demain à l’aube, pour les Midlands 4 .
— Bien. Ce n’est pas tout. La deuxième condition est que mon oncle et ma tante n’assisteront pas à la cérémonie.
— L’idée ne m’aurait pas effleuré ! J’ai discuté avec votre oncle. Je crains que vous n’ayez raison : il ne serait pas surpris, ni choqué outre mesure, si je me débarrassais de vous. Autre chose ?
— Oui, et de toute importance. Savez-vous qu’ils retiennent ma fille Meg ici contre mon gré ? Je l’avais confiée à sa nourrice, à Westwater, et ils sont allés la chercher sans mon consentement.
— Non, je l’ignorais.
— Ils prétendront, si l’on s’y oppose, que la maison ne convenait pas, qu’ils l’ont amenée pour lui donner une véritable éducation et sauver son âme de l’hérésie, mais ce n’est pas vrai.
— Vous en êtes sûre ?
— Tout à fait. Oh, je gage qu’ils sont convaincus d’agir pour le bien de Meg, en parents dévoués. Ils aiment renvoyer une image flatteuse aux autres et à eux-mêmes.
Je compris, sitôt ces mots prononcés, qu’ils étaient la clef de leur caractère. Donner l’apparence de la vertu avait toujours été leur fort.
— En vérité, ils me l’ont prise pour se venger de moi, parce que j’ai volé le parti qu’ils destinaient à ma cousine Mary, et que j’ai refusé d’abattre la tâche d’une servante à moindres frais. Ils la rendront aussi malheureuse que moi. J’ai l’impression que vous exercez de l’influence sur eux. Je vous en prie, usez-en pour libérer Meg.
Matthew paraissait déconcerté.
— Je supposais en fait que vous amèneriez votre fillette à Withysham. Je m’apprêtais à vous demander où elle était.
— Meg viendra certainement à Withysham, mais pas maintenant. Sa vie a subi trop de bouleversements, ces derniers temps. Elle pourra me rejoindre après notre mariage, une fois que nous serons un peu installés et que nous aurons organisé la maison. Si je vous épouse, je m’en occuperai de tout mon cœur. Pour l’instant, je désire que Meg retourne à Westwater, auprès de sa nourrice. On doit faire venir Bridget afin que ma fille puisse regagner leur maison en sa compagnie. Meg, dis-je d’un ton sans réplique, ne devra être confiée à aucun étranger durant ce voyage, quelle qu’en soit la distance.
Matthew éclata de rire.
— Vous savez ce que vous voulez !
— En effet. Mes conditions vous paraissent-elles acceptables ?
— Vous me voyez soulagé qu’elles soient si raisonnables ! Autre chose
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