Dans l'ombre de la reine
(« Cette fille saura-t-elle combler mon merveilleux garçon ? ») et de désir de plaire (« Vous êtes la future épouse de Matthew. Pour lui, je vous accueille avec joie »). Je me demandais comment il lui avait expliqué ces noces précipitées, mais je soupçonnais qu’il s’était borné à donner des instructions. Dale considéra Mme Montaigle avec suspicion, au début, mais celle-ci la poussa gentiment du coude et lui dit :
— Bécasse ! Je ne vais pas vous voler votre place ! Mais une future mariée doit avoir plusieurs femmes pour la préparer !
Dale se dégela, après cela, et ensemble elles me baignèrent, me séchèrent, me frictionnèrent avec de l’eau de rose, puis elles épinglèrent avec soin la robe sur moi afin d’apporter quelques retouches. La mère de Matthew avait eu une silhouette plus épaisse que la mienne. Faute de temps, certaines des épingles resteraient.
Puisque j’étais veuve, il n’était pas décent que je garde mes cheveux lâchés. Pendant que je prenais mon bain, Matthew envoya une servante, qui m’apporta une résille ornée de joyaux.
— Il vous fait dire, madame, dit la jeune fille avec une révérence hâtive en jetant un coup d’œil derrière le panneau, que cette sorte de coiffure vous sied et qu’il aimerait que vous l’ayez pour la cérémonie.
C’était une résille en soie dorée, très semblable à celle que j’avais mise à Cumnor, excepté que les mailles étaient plus serrées et qu’elle était parsemée non seulement de perles, mais de rubis et de péridots. Je contemplai la parure scintillante en songeant qu’elle symbolisait mon mariage à la perfection : sous la richesse et la beauté, le filet n’était pas moins là, comme une toile d’araignée dans laquelle, à défaut d’une extrême prudence, je resterais prise.
Une partie de moi ne demandait qu’à se laisser prendre. Mais alors je pensais aux trois meurtriers de John, parcourant les routes d’Angleterre pour pousser des gens comme les Westley et les Mason à la trahison, tissant leur propre toile à travers le pays. Les joyaux de cette toile-là étaient faux, leur éclat n’était qu’un leurre. Matthew ne le pensait pas, mais il se trompait. Je ne reviendrais pas en arrière.
Je me demande combien de futures mariées, en revêtant leur belle robe, tournent constamment leur regard vers la fenêtre pour scruter l’extérieur tel un général préparant son plan de bataille, à l’affût du moindre avantage stratégique.
Dale, enfermant mes cheveux dans la résille scintillante, s’extasia sur l’effet produit, beaucoup plus joli qu’avec les cheveux lâchés. Tout en lui faisant écho, je notai secrètement, non sans regret, que le mur extérieur avait été réparé. On aurait grand-peine à s’introduire dans la propriété en l’escaladant, désormais. Et sortir de ce côté serait tout aussi difficile. Je ne distinguais même pas d’arbre dont les branches eussent fourni un appui commode.
Mme Montaigle fixa une petite collerette de lin autour de mon cou et admira les broderies sur mes manches ; je les admirai moi aussi, tout en me demandant si je ne pourrais pas créer une diversion en provoquant un début d’incendie.
Mon regard revenait le plus souvent vers les enclos. Leur portail donnait sur le chemin du corps de garde, or celui-ci n’était pas fermé durant le jour. Matthew ne faisait pas seulement aménager un jardin, mais aussi construire de nouvelles remises, et le train des tombereaux de pierres, de bois et de plantes ne s’arrêtait pas. J’entrevoyais des possibilités de ce côté-là.
Je demandai à Mme Montaigle si elle avait des sels, disant que, comme j’avais été souffrante la veille, je craignais d’être prise de faiblesse durant la cérémonie ou le banquet. Dès qu’elle partit en chercher, je profitai de l’occasion pour murmurer quelques instructions à Dale.
— Oh, madame !
— Il le faut ! répliquai-je d’un ton sec.
Vint le mariage. Dans la minuscule et sombre chapelle de Withysham House, située un peu plus bas que le niveau du sol à l’extérieur, je me tins au côté de Matthew et déclarai devant l’oncle Armand et la maisonnée entière que je consentais à prendre Matthew de la Roche pour légitime époux.
— Je ne vous ai jamais offert de bague de fiançailles, mais que ceci soit une compensation, murmura Matthew en glissant un large anneau d’or à mon doigt. Il appartenait
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